Hommage au chanteur de The Saints, mort samedi 9 avril à l’âge de 64 ans. Son nom restera à jamais associé à l’un des groupes phares du rock australien et à l’histoire du label français New Rose.
Absent de nos écrans radar depuis une bonne dizaine d’années et un album King of the Sun demeuré inédit en France, le chanteur australien d’origine irlandaise Chris Bailey nous a quitté·es définitivement ce 9 avril à l’âge de 64 ans, dans des circonstances non communiquées.
Son nom reste à jamais associé à l’un des groupes phares du rock australien, The Saints, dont la virulence des débuts, souvent étalonnée sur celle des Stooges et des Ramones, en a fait l’un des prototypes du punk au milieu des années 1970. Remodelé à de nombreuses reprises, le groupe aura toutefois été l’un des plus endurants dans sa catégorie, avec un corpus dénombrant quatorze albums sur lesquels jouent pas moins de trente-six membres, Bailey étant le seul dénominateur commun à tous. Une discographie à laquelle il faut ajouter les sept albums solos du chanteur.
En 2012, on le retrouvait en compagnie du Français Renaud Brustlein, alias H-Burns, sur Stranger, qui scellait en quelque sorte son lien privilégié avec notre pays. Longtemps locataire du label New Rose de Patrick Mathé et Louis Thévenon, cet éternel nomade, buveur impénitent, y avait conservé des liens forts. Comme il en avait conservé en Angleterre, aux Pays-Bas et en Suède, où il vécut également.
Bienvenue à Petrie Terrace, Brisbane
Né au Kenya en 1957, il passe ses sept premières années à Belfast en Irlande du Nord, berceau de sa famille, avant d’émigrer avec ses parents à Brisbane en Australie. En 1973, il y fait la connaissance du guitariste d’origine allemande Ed Kuepper, avec lequel il fonde Kid Galahad & The Eternals, rebaptisé The Saints deux ans plus tard. En décembre 1976, un article paru dans une gazette locale en signale l’existence en ces termes : “The Saints sont basés à Petrie Terrace, Brisbane. Et si jamais vous avez mis les pieds à Petrie, alors vous savez que les Saints font de la ‘musique environnementale’.”
Avec ses immeubles condamnés, ses friches industrielles, ses étendues désertes striées de rails de chemin de fer rouillés, l’endroit était devenu en quelques années un repère pour tous les cas sociaux de la ville. Ivrognes, junkies, laissés pour compte en avaient fait un royaume régi par la démerde, l’expédient et la violence. “À Petrie, vous êtes sûrs de vous faire agresser”, concluait l’auteur de l’article, qui invitait pourtant à venir voir le groupe sur la scène du Club 76 “situé juste en face du poste de police”. Effectivement, il ne pouvait y avoir meilleur reflet sonore de ce monde dévasté et sans issue que ce punk rock chimiquement pur aux paroles incendiaires.
Des débuts explosifs
I’m Stranded (Je suis à la ramasse), leur premier single édité sur leur label, Fatal Records, n’a rien à envier aux manifestes venus des États-Unis ou d’Angleterre. Et c’est parce qu’il soutient la comparaison avec Ramones, Pistols et Clash que la presse britannique est la première à célébrer ces Australiens dès la sortie de cet authentique chef-d’œuvre, capsule inoxydable d’une époque bénie. Avec pour effet immédiat d’inciter le bureau d’EMI Londres à mettre la pression sur son homologue australien, qui quelques mois plus tôt avait jeté les Saints comme des malpropres, pour les signer au plus vite.
S’ensuit l’album du même nom. Fort d’une collection de dix chansons qui maintiennent une égale tension et une radicalité avec la jouissive obstination propre aux débutants, le disque frappe aussi l’imagination par sa pochette. Saisis dans ce qui a tout du squat, avec plancher crevé et murs tagués, nos quatre loqueteux aux airs d’ados mal dégrossis inventent pour ainsi dire le no look, avec tee-shirts informes, futals démodés, cheveux longs et gras, aux antipodes des grimages élaborés et des poses étudiées des punks londoniens.
Contre l’orthodoxie punk
Dans ce répertoire inaugural s’immisce toutefois une détonante reprise du Kissin’ Cousins d’Elvis Presley, une hérésie dans cette époque où l’on fait table rase du passé. De quoi nous édifier sur les intentions futures du chanteur à ne se laisser sous aucun prétexte enfermer dans la moindre orthodoxie punk, augurant ainsi une suite aussi libre que foisonnante. Une autre reprise, le River Deep – Mountain High d’Ike & Tina Turner, l’atteste ; les guitares d’Ed Kuepper se hissent à hauteur du Wall of Sound de Phil Spector, son créateur.
Les cuivres de Know Your Product sur l’album suivant, Eternally Yours, dans la plus pure tradition rhythm’n’blues du label Stax, ne cherchent pas plus à brouiller les pistes. Ils donnent juste à entendre ce qui tramera la suite de la carrière de Bailey : un canevas serré de chansons dont la sève remonte des racines profondes du blues, du rock pionnier, avec en plus cette juste dose de férocité caractéristique du rock australien. Après une succession de singles (Erotic Neurotic, This Perfect Day) et un troisième album, Prehistoric Sounds, tout aussi essentiel, les Saints originaux finissent par se séparer en 1978 faute d’avoir su reconduire le succès de I’m Stranded. Commence alors la période de vache maigre pour Bailey qui survit à Londres, sans groupe et sans label.
La renaissance avec New Rose
Patrick Mathé, qui veut lancer les disques New Rose dans le sillage du succès de son magasin de la rue Pierre-Sarrazin à Paris, a vent de son infortune… “En lisant la presse anglaise, j’avais appris que les Saints, groupe que j’adorais, venaient de se faire jeter de chez EMI et que leur chanteur, Chris Bailey, en était réduit à chanter dans le métro pour vivre. Comme je connaissais bien un journaliste anglais, Giovanni Dadomo, je lui ai écrit pour lui demander s’il savait comment joindre Bailey. Par chance, quelques temps plus tard, il est tombé sur lui. Informé de nos intentions, Chris m’a téléphoné au magasin. J’ai aussitôt pris le ferry pour l’Angleterre où j’ai pu le rencontrer. Après une nuit à boire des coups, il m’a fait écouter des inédits qui ont fait l’objet du premier disque paru sur le label New Rose, Paralytic Tonight, Dublin Tomorrow.”
Ainsi débute une collaboration riche de sept albums, plus trois de Bailey en solo. Bien que de qualité inégale, jamais l’intégrité de l’artiste n’y est prise en défaut, chaque disque renforçant l’image d’un chanteur devenu moins forcené avec les ans, comme en quête d’une rédemption romantique. La moindre des choses pour un Saint. Si une chanson suffit à le prouver, c’est bien Just Like Fire Would tiré de l’album All Fools Day de 1986, dans lequel ressort l’ADN celtique de Bailey. En 2014, Bruce Springsteen en a fait la reprise sur High Hopes. Aujourd’hui, les paroles crépusculaires du morceau nous semblent prémonitoires : “I smoked my last cigarette, I stay only to defy, the night was dark & the land was cold, it’s frozen right to the bone.” (“J’ai fumé ma dernière cigarette, je ne reste que par défi, la nuit était noire et la terre était froide, le froid glacial gagne jusqu’aux os.”)