Vingt ans (ou presque) après son arrivée sur les écrans de cinéma, que reste-t-il du phénomène « Taxi » ? Avec le temps, la production de Luc Besson s’impose comme l’une des comédies les plus aimées de l’hexagone. Personnages loufoques, répliques décalées et Peugeot 406 customisé : retour sur un succès populaire.
8 avril 1998. Petite semaine de sorties salles en cette période de somnolence cinéphile propre aux quelques semaines précédant le festival de Cannes (où un mois plus tard le jury de Scorsese couronnera à l’unanimité L’Éternité et un jour de Theo Angelopoulos).
Entre le road movie tsigane de Gadjo Dilo de Tony Gatlif et le journal politico-intime de Chronique d’une disparition d’Elia Suleiman, une Peugeot 406 blanche surgit en vol plané, manifestement en pleine course poursuite, quelques mètres au-dessus du bitume où s’inscrivent en jaune les lettres : Taxi. C’est la dernière production de Luc Besson et elle s’apprête à s’imposer comme la première surprise d’une année aux airs de feu d’artifice au box-office national – puisqu’y figurent le plus grand succès ever (Titanic) et directement à sa suite, trois films français : Le Dîner de cons, la suite des Visiteurs et, donc, Taxi.
Fort de 6,5 millions d’entrées qui ouvriront la voie à 3 suites (pour un total de 27 millions de spectateurs, sans compter l’étranger) et au lancement d’un studio (EuropaCorp), le titre s’imposera comme une des marques les plus couronnées de succès de l’histoire du cinéma français.
Elle ne fera jamais date dans la cinéphilie « straight », qui la relègue au rang de vulgaire produit Besson (d’autant plus qu’il n’a pas daigné réaliser). Elle ne lancera la renommée d’aucun acteur. Frédéric Diefenthal, plutôt issu de la fiction télévisée (Le juge est une femme), y est gentiment retourné depuis la fin du quatrième volet. Samy Naceri, avec un début de carrière plus remarqué et notamment un prix d’interprétation à Locarno (pour Raï de Manu Layotte), deviendra un quasi-infréquentable au cours des années 90 suite à ses ennuis judiciaires – mais citons tout de même son improbable apparition en 2013 dans Tip Top.
Mais elle réunira des dizaines de millions de spectateurs et bénéficiera auprès d’eux d’une aura de sympathie extrêmement durable. Car Taxi a toujours des fans dont certains sont pourtant quasiment plus jeunes que lui. Malgré l’emballage d’action suggéré par l’affiche, Julien, 20 ans, cite en premier lieu « l’humour, le côté très cartoon ». Lionel, 19 ans, parle également d’une « saga hilarante, encore ma comédie préférée aujourd’hui ».
Ingrédients d’un carton
Elle passe notamment par des personnages secondaires : « seconds rôles d’une efficace désuétude », note dès la sortie Le Monde dans un des rares articles sur ce que le titre décrit comme un « film en maraude dans le cinéma français ». Bernard Farcy, dans le rôle haut en couleurs du commissaire, puis Jean-Christophe Bouvet, arrivé dans le deuxième épisode pour jouer le beau-père haut-gradé du héros, retiennent l’attention grâce à des interprétations extrêmement truculentes et braillardes.
Très estimé par la cinéphilie en tant que fidèle collaborateur de Jean-Claude Biette, Bouvet se retrouve précipité dans la célébrité :
« Depuis vingt ans, je signe une dizaine d’autographes par jour, et je ne prends jamais le train sans qu’on me propose de me faire monter en première classe. Mais je suis une demi-star : tout le monde connaît mon visage, personne mon nom ! »
Et c’est vrai : nous avons fait le test auprès des fans interrogés. Tous sont capables de citer au mot près les répliques du général Bertineau ; aucun de citer le nom de l’interprète. Pas beaucoup plus de réussite avec les noms des réalisateurs (Gérard Pirès pour le premier, Gérard Krawczyk pour les suivants).
https://www.youtube.com/watch?v=B2myzVQ9Puw
Triomphe discret
C’est le propre de la notoriété de Taxi : elle n’est pas inscrite dans les mémoires, relève quasiment d’une tradition orale. « J’ai l’impression que c’est un de ces films dont les répliques sont entrées dans le folklore et s’immiscer dans des conversations, même en dehors de “fans” stricts, simplement dans le public des générations concernées. ‘Alors les filles, on porte toujours la moustache ?’ est le genre de trucs que je peux dire pour faire le con en arrivant au bureau le matin… », explique Valentin, 34 ans.
« C’est aussi un truc lié à l’époque, à la Coupe du monde (emportée par la France deux mois plus tard, ndlr), au black-blanc-beur. » Taxi fait remonter le souvenir d’un climat lié aux chansons d’IAM, aux maillots de l’OM et à une esthétique banlieusarde fraîche et estivale dont Besson fera son fond de commerce les années suivant (Yamakasi, etc.). Sa B.O., sur des beats composés par Akhenaton, accueille la fine fleur du rap marseillais de l’époque (Fonky Family, Freeman, 3e Œil), avec à la clé un tube, Tu me plais, encore incontournable dans toute playlist 90’s qui se respecte.
https://www.youtube.com/watch?v=Qk0hlccWde0
Le genre de succès dément mais sans empreinte, destiné à s’estomper les années passant. Quelques souvenirs dans la presse, peut-être ? Oui, et encore : le spectateur d’avril 98, hésitant sous la devanture du cinéma entre le bouillon de culture et le crissement de pneus, n’aurait pas trouvé de quoi trancher dans les Inrocks, qui plaçaient Massive Attack en couverture sans trop s’inquiéter d’un film qui leur avait été, probablement, refusé.
Il n’aurait pas eu beaucoup plus de chance chez la concurrence. Besson se méfie depuis toujours des critiques, n’ayant jamais refermé la blessure de l’accueil du Grand Bleu à Cannes, la presse ayant pris soin d’y saupoudrer un peu de sel à chacun de ses films. Taxi n’appartiendra pas à l’histoire cinéphile : ni par les talents qu’il aura propulsé, ni par les commentaires qu’il aura suscité.
Il n’appartiendra qu’à une histoire populaire, publique, vernaculaire. Ainsi bien sûr qu’à une histoire industrielle. Geoffrey Le Guilcher, ancien collaborateur des Inrocks et auteur de Luc Besson – L’homme qui voulait être aimé, biographie « non autorisée » du tycoon, explique.
« En fait, Taxi est le point cardinal de sa carrière, on y retrouve tous ses schémas : la logique de franchise, juteux placement de produits (avec Peugeot, évidemment, ndlr.), le conflit judiciaire crapuleux (autour d’un tragique accident de cascade ayant entrainé la mort d’un technicien dans le second volet, ndlr), la rupture avec un partenaire qui lui a permis de s’élever d’un cran (le publicitaire et homme d’affaires Christophe Lambert, ndlr), et puis bien sûr le lancement d’EuropaCorp qui actionne une toute nouvelle page de sa carrière de producteur. »
Et maintenant ?
Mais la franchise ne partira pas aux oubliettes. L’an dernier, on apprenait son reboot chapeauté par Franck Gastambide (Les Kaira, Pattaya), associé à son partenaire de jeu Malik Bentalha. Actuellement en tournage, elle s’entoure pour l’instant d’un grand mystère, y compris pour les collaborateurs d’origine : « Ils ont envoyé sur les réseaux sociaux que j’allais faire l’oncle de Bentalha, je ne sais même pas, je n’ai rien lu, voilà, je ne suis au courant de rien », grognait Samy Naceri auprès de Télé-Loisirs le mois dernier.
Même succès au rendez-vous ? On le saura le 11 avril 2018, vingt ans quasi jour pour jour après les premiers rugissements de moteur de la Peugeot blanche de Daniel. Ou alors non : on ne le saura qu’encore dix ou vingt ans plus tard. Le temps nécessaire pour mesurer les cartons de la trempe de Taxi : ceux qui vous empêchent de croiser un certain modèle de voiture dans la rue sans penser au film dans lequel vous l’avez vue quand vous aviez dix ans.