Présidentielle 2022 – Elles et ils ont répondu à la question “De quel pays rêvez-vous ?” dans notre numéro d’avril. Les écrivaines et les écrivains de “FICTIONS 2022” réagissent au résultat du premier tour de l’élection présidentielle.
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Avant, nous le savions déjà, maintenant nous le savons vraiment. Au second tour de l’élection présidentielle accèderont le président sortant Emmanuel Macron et la candidate du Rassemblement National, Marine Le Pen. Cette situation n’est pas inédite, nous l’avons déjà vécue, le paradigme politique a déjà été éprouvé.
Pour ma part, je ne ressens plus le scandale ou la peine de la situation. C’est ainsi, et bien que la candidature de Jean-Luc Mélenchon ait pu susciter quelque dynamique, il ne pouvait en être autrement. Ce n’est pas un aveu de désespérance, mais une simple observation politique. Une observation politique qui exige de réintégrer la photographie de ce soir de premier tour au film de ce quinquennat qui s’achève.
Car Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont liés. Non seulement par le fait qu’ils poursuivront, ensemble, la course qui mènera l’un d’eux au palais de l’Élysée mais liés, aussi, plus anciennement, par une forme de troc stratégique : à Emmanuel Macron de faire entrer Marine Le Pen dans l’espace politique républicain et à Marine Le Pen de poursuivre la fascisation de l’espace idéologique français afin de permettre à Emmanuel Macron d’apparaître comme le sauveur national, l’élu. Et si l’un, d’une certaine manière, a ouvert la voie à l’autre, c’est qu’ils partagent une aspiration commune (néolibérale pour Emmanuel Macron, nationaliste pour Marine Le Pen) : constituer l’idée de gauche – j’entends par là, principalement, l’idée égalitaire – comme une idée impensable, condamnable, une idée morte.
J’insiste, dans ce bref texte, sur ce troc aux effets politiques déterminants car déjà des voix se lèvent pour appeler à faire front face à l’extrême droite en votant pour Emmanuel Macron afin de sauver la République. Il faut alors goûter le cynisme de la démarche : œuvrer à la légitimation des idées réactionnaires pour, un soir, tous les cinq ans, les déclarer inacceptables. Et, au lendemain de ce grand soir, les accepter à nouveau. Ce troc n’a que trop duré, ne peut plus durer. Tandis qu’Emmanuel Macron et Marine Le Pen amassent les gains de leurs arrangements mutuels, nous, qui ne sommes pas étrangers à ce troc, qui en sommes, au vrai, partie prenante, nous perdons. J’entends : les classes populaires et marginalisées ne cessent d’être contraintes de donner et, en retour, n’ont rien. Car, pour les groupes exploités, le troc ne relève pas du donnant-donnant, mais bien d’un rapport de domination porté par des forces structurelles historiques. Et c’est à ces groupes-là que le néolibéralisme et le nationalisme, sous leurs formes étatisées et oligarchiques, font, ensemble, barrage.
Comment barrer le barrage ? Comment faire front contre le front ? Comment nous sauver des sauveurs ? Par la rue, par la constitution d’un mouvement de masse, par l’action collective et par l’organisation, à chaque fois et toujours. Et durant les jours qui viennent, il faudra plus que jamais sortir, marcher, occuper l’espace, faire la démonstration de notre force. Refuser le troc.
Dernier livre paru : Comme nous existons (Actes Sud)
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