Dix albums de jazz pour profiter en douceur et en beauté des derniers jours de l’été.
Hermon Mehari, Bleu
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Depuis son plus jeune âge, Hermon Mehari collectionne les distinctions grâce à sa trompette véloce, qu’il maîtrise avec une technique exemplaire. D’un musicien on attend cependant des qualités autres qu’athlétiques. Ce disque enregistré en sextet (avec Logan Richardson à l’alto et Aaron Parks au piano) balaie toute inquiétude à ce sujet. Sur une rythmique gonflée à la testostérone – péché de jeunesse de nombreux jazzmen américains –, Mehari déroule thèmes mélodieux et solos ingénieux, osant même une certaine nonchalance. Ce contraste entre la sophistication extrême d’un swing calé au micro-temps près et la décontraction assurée du leader fait tout l’attrait de Bleu.
Gerald Clayton, Tributary Tales
Dans le livret de son nouvel album, le pianiste Gerald Clayton s’empare de la métaphore du ruisseau devenu rivière, puis fleuve afin d’évoquer son parcours d’homme et de musicien. Derrière le cliché, nulle naïveté : le tumulte océanique du premier titre (Unforeseen) se prolonge en houles furieuses soulevées par le batteur Justin Brown et une solide armada de saxophonistes, Logan Richardson, Ben Wendel et Dayna Stephens. Quand le calme revient, les voix de quelques poètes tombent sur l’onde et, par instants, on pense à Mingus (Wakeful) après avoir songé à McCoy Tyner. Tant de capacités si bien employées, dans les mains d’un homme de 33 ans, ne peuvent que laisser admiratif.
Manuel Valera Trio, The Seasons
Les Quatre saisons, on l’oublie parfois à force de subir leur introduction en boucle sur les répondeurs de dentistes, contiennent des splendeurs impérissables, distribuées en quatre concertos pour violon. Pour son nouvel album, le pianiste cubain Manuel Valera a puisé son inspiration en elles sans chercher à en reproduire les thèmes si célèbres, sensible davantage à la poésie des évocations de Vivaldi qu’à leur traduction littérale. Frôlant les abîmes à force de vitesse, son trio adopte les foulées nerveuses du hard bop plutôt que celles, plus souples, des leçons latines. Mais au bout de la course, c’est l’apaisement qui triomphe, dans un Hallelujah de toute beauté.
Oregon, Lantern
De la formation originale ne restent que Ralph Towner et Paul McCandless (Mark Walker est arrivé en 1996 et le contrebassiste Paolino Dalla Porta signe ici son premier enregistrement avec le groupe), mais Oregon n’a en rien renoncé à sa mission, fixée dès 1971 : vagabonder à travers les musiques du monde et le folk pour enrichir toujours plus son jazz de sons, modes et rythmes rares. L’exotisme n’est pas de mise à la lumière de cette Lantern : au hautbois et au cor anglais, au soprano comme à la clarinette basse, McCandless affiche une distinction quasi élisabéthaine, tandis que Towner, à la guitare et aux claviers prête du nylon au swing et au blues, quand ce n’est pas un soupçon de surréalisme psychédélique (ainsi dans le superbe morceau-titre). C’est le trentième album d’Oregon et le secret de ses fascinantes limpidités reste entier.
Giovanni Falzone Quintet, Pianeti Affini
Pour traduire les sympathies musicales des « planètes connexes » (Pianeti Affini), Giovanni Falzone a convoqué un orchestre étrange réunissant trombone, accordéon et effets électroniques en plus de la section rythmique et de sa trompette. Cette matière sonore, loin d’être accidentelle, a sûrement influencé l’écriture même, précise et répondant à des plans particuliers pour chaque pièce. L’assaut de l’espace ne se sépare jamais ici d’une truculence et d’un certain grotesque typiquement italiens : parfois chétives, voire manquées, ces ascensions fragiles mènent à de touchants retours à l’humaine condition – et donc au blues, américain, italien, universel.
Roscoe Mitchell, Bells for the South Side
Certains hommes ont la passion de l’expérimentation, aussi radicale et indéterminée pourrait-elle paraître. « J’aime le mystère » déclare simplement Roscoe Mitchell, co-fondateur de l’Art Ensemble of Chicago, saxophoniste de génie et amateur passionné de clochettes. Réunissant ses quatre trios ce double album ressemble à une toile vierge traversée de lézardes étranges, fissures tremblotantes où s’insinuent des fureurs de rythme, des silences qui inquiètent moins que les bruits qu’ils enfantent, des cavalcades d’esprits chuintants, hurlants ou pleurants. La tonalité par instants se précise sans que la terre soit plus ferme sous les pieds, et cette solitude du chaos peu à peu nous dépeuple de toute image, de toute idée-réflexe, livrant l’esprit au vertige interrogateur du neuf.
Eric Schaefer, Kyoto mon amour
Laissant les sublimes fracas de son disque enregistré avec The Shredz propager leurs dernières vibrations, Eric Schaefer définit un espace musical entièrement différent dans cet album inspiré par la cité impériale japonaise. Procédant par touches, silences et traits gracieux, le batteur allemand et ses musiciens (Kazutoki Umezu aux clarinettes, Naoko Kikuchi au koto et John Eckhardt à la basse) cultivent leur art comme un jardin zen, avec la subtilité requise et tout ce qu’il faut de patience, de confiance et d’abandon. Il en résulte un cahier poétique qui évite l’écueil du pittoresque et ne s’attache qu’aux beautés évanescentes de l’esthétique japonaise.
Josiah Woodson, Suite Elemental
Il a longtemps mis ses talents au service des autres sans se fixer de limites (ses compagnonnages vont de Branford Marsalis à Beyoncé et Mos Def), mais c’est au sein d’un quintet « classique » (avec basse, batterie, claviers et saxophone en soutien) et dans un langage apparenté au jazz modal qu’il réalise aujourd’hui cette ambitieuse Suite Elemental. Passant de la guitare à la flûte ou à la trompette, Josiah Woodson peint les quatre éléments comme autant d’états d’âme et de mouvements sensuels. La cohérence entre le concept et ses développements est telle qu’on redécouvre avec enthousiasme l’inépuisable valeur esthétique de ces quatre principes créateurs.
Stephan Micus, Inland See
Fidèle parmi les fidèles au label ECM, Stephan Micus aborde chaque nouvel enregistrement comme un voyageur partant pour une traversée en solitaire. Collectés dans tous les pays, ses instruments, dont il joue seul et avec beaucoup de finesse, instaurent l’espace et le temps qui lui sont propres, entre l’Asie, le Moyen-Orient et Europe, entre traditions immémoriales par où les hommes se liaient à la nature et au divin, et présent rasséréné, dépollué de son infamante laideur. Un rapport nouveau au monde peut se faire là, salutaire, curateur.
https://www.youtube.com/watch?v=kk5u5duX-NA
John Coltrane, European Tour 1961
Avec Charlie Parker, John Coltrane compte parmi les saxophonistes les plus influents de l’histoire du jazz. Edité pour le cinquantenaire de sa disparition, ce passionnant coffret de sept albums retrace sa tournée européenne de 1961. C’est une époque charnière pour Trane, celle qui le voit trouver en McCoy Tyner, Reggie Workman et Elvin Jones les soutiens nécessaires à l’exploration de nouvelles voies. Au fil des concerts, on retrouve ses thèmes fétiches, Naima, Impressions (neuf fois), My Favorite Things (neuf fois également) ou Blue Train, tous magnifiés par les interactions de ce quartet fabuleux et les libertés folles d’Eric Dolphy (alto, flûte et clarinette basse), génie supplémentaire engagé en renfort pour cette tournée. Un must have.
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