Un tout jeune groupe effectue une apparition éclatante dans le paysage musical français avec un premier album remarquable dont la fulgurance électrique n’a d’égale que la puissance poétique.
Devant un groupe baptisé Mauvais Sang, difficile de ne pas s’attarder d’abord sur ce nom, qui rappelle évidemment tout de suite l’iconique film éponyme de Leos Carax (avec Denis Lavant et Juliette Binoche, couple de feu pour l’éternité). Ledit film emprunte lui-même son titre à un poème d’Arthur Rimbaud, figurant dans Une saison en enfer.
L’allégeance à Carax s’impose avec d’autant plus d’évidence que Denis Lavant donne brièvement de la voix – aujourd’hui bien éraillée – sur deux morceaux, à commencer par celui d’ouverture (Introduction). Elle se perçoit en outre dans la dimension très cinématographique de l’univers du groupe, dont les chansons évoquent souvent des (plus ou moins) courts métrages sonores, extrêmement imagés.
Entre calme et tempête
Quant à l’encre noire de Rimbaud, elle circule sans nul doute dans leurs veines. Tendant vers une poésie sombre et tourmentée, les paroles (toutes en français) – dont la sonorité importe autant que le sens – expriment ainsi la plus vive intranquillité et jaillissent à travers des compositions musicales au diapason, porteuses d’un rock sous haute tension, en équilibre instable entre calme et tempête. Très majoritaires, les chansons orageuses, parcourues de magnifiques spasmes électriques, sont inévitablement celles qui secouent le plus. Citons par exemple Décor, bombinette fulminante, Bushman Hole, rêverie cataclysmique, Corps, incantation convulsive, et, last but not least, Quand Disparaître, mélopée graduelle au crescendo final dévastateur (qui termine l’album de façon particulièrement foudroyante).
Loin de faire du remplissage, les chansons moins virulentes (Le Refuge de la Vormaine, Monument, Venus Anadyomène) sont presque des ballades. Elles s’avèrent également très ardentes et participent pleinement à l’éclat de l’ensemble. Si l’on pense parfois à Dominique A (surtout celui de Remué), Feu! Chatterton ou Ulan Bator (groupe majeur du post-rock français, hélas un peu oublié), Mauvais Sang affirme pourtant une très forte personnalité avec Des corps dans le décor. En dépit de son titre discutable, ce premier album impressionne vraiment. Précision non négligeable : les membres du groupe – Léo Simond (chant), Mathis Saunier (guitare), Marion Pozderec (harpe), Valérian Burki (basse), Antoine Vercellotti (batterie) – n’ont même pas vingt-cinq ans. On a hâte d’entendre ce que leur futur nous réserve.
Des corps dans le décor (December Square/Kuroneko). Sortie le 8 avril.