Le jury du festival azuréen, présidé par la créatrice de “Drôle” Fanny Herrero, a récompensé une audacieuse série de lycée aux accents politiques.
Une semaine après la clôture de sa grande sœur Séries Mania à Lille (édition qui a primé l’exploration des premières années de NTM, Le Monde de demain, à la rentrée sur Arte), le festival Canneséries a pris la relève de manière très (et clairement trop) rapprochée dans le calendrier. Deux festivals de séries qui s’enchaînent au printemps, voilà un encombrement dommageable pour un secteur certes en plein essor, mais qui a encore besoin de s’inventer une histoire et un vécu.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
On ne reviendra pas sur la guéguerre largement politique qui oppose les deux festivals, tout en souhaitant que la raison prédomine et que, par exemple, le rendez-vous cannois imagine dans le futur une édition automnale. Cette édition, dont le jury était présidé par Fanny Herrero (créatrice de Drôle) a d’abord accueilli la géniale Gillian Anderson, qui a donné une masterclass énergique avant de laisser la compétition, traditionnel point fort du festival, égrener les dix séries candidates au Prix de la meilleure série.
Regards sur le monde
Des propositions venues d’à peu près partout (sauf d’Amérique, grande absente) et auscultant une planète à vif où peu à peu, les voix tues prennent la parole. C’est le sens de la deuxième saison de la série du Français oscarisé Jean-Xavier de Lestrade, Jeux d’influence, les combattantes (Arte), qui évoque dans les pas d’Alix Poisson, lobbyiste reconvertie en journaliste, à la fois les pesticides dans l’agriculture et les luttes de pouvoir qui permettront peut-être d’en sortir. Un peu attendue, la série n’en reste pas moins efficace dans sa manière de mêler les niveaux de récit, passant des couloirs des ministères aux fermes en difficulté.
Plus sophistiquée, l’Allemande Souls (créée par Alex Eslam) a remporté le Prix du Scénario. Son héroïne vit comme dans Un Jour sans fin, mais sur un mode clairement tragique, ne parvenant pas à empêcher son mec de piloter un avion qui va se crasher, et revivant cette même journée où elle finit par se suicider. Même imparfaite, la série a le grand mérite de surprendre, dévoilant une toile narrative mi-fantastique mi-sentimentale autour du deuil. Toutes proportions gardées, il y a quelque chose de The Leftovers dans cette approche très mélo de thématiques autour de la disparition de celles et ceux qu’on aime. Dans un esprit parfois proche, Audrey est revenue (Grand Prix) nous a moins convaincu, même si cette création canadienne signée Guillaume Lambert et Florence Longpré a quelque chose de touchant : l’histoire d’une femme dans le coma depuis son adolescence, qui se réveille et découvre un monde à la fois très accueillant – sa famille, ou ce qu’il en reste – et fondamentalement monstrueux. Reste un manque d’équilibre dans l’enchaînement, entre des tentatives d’humour et d’autres moments plus dramatiques.
Notre série coup de cœur récompensée
Comme à Séries Mania, notre préférée était aussi celle du jury, qui a décerné le Prix de la meilleure série à l’Israélienne The Lesson (créée par Deakla Keydar), un concentré d’énergie et de finesse. Tout part d’une discussion houleuse au lycée entre un prof quadra et l’une de ses élèves de 17 ans, quand cette dernière rend un devoir contenant des remarques racistes et anti-arabes. Il tente de la raisonner, elle dénonce une injustice dans le traitement dont elle fait l’objet, il s’emporte et se retrouve mis en difficulté après la diffusion de la vidéo d’une deuxième altercation. Tout sauf manichéenne, accrochée aux paroles et aux arguments de ses protagonistes, The Lesson plonge à corps perdu dans la démocratie israélienne, à la fois puissante et fragile, où certains sujets rendent le dialogue difficile, voire impossible.
En plus de cette frontalité politique qui peut rappeler un autre coup de force dans un lycée (Entre les murs, Palme d’or cannoise en 2008), The Lesson se distingue par son casting : Doron Ben-David en prof désabusé par la droitisation de la société et l’incroyable Maya Landsmann (Prix d’interprétation non genré), que l’on avait repérée ici l’an dernier avec Sad City Girls. Elle incarne une ado en rupture comme on pensait en avoir vu beaucoup, une fille butée qui ne laisse jamais de temps mort et balance son mal-être sans hésiter une seconde. Ce n’est pas toujours reposant, mais forcément passionnant. On espère découvrir The Lesson bientôt sur une chaîne française.
Le palmarès complet est à retrouver sur www.canneseries.com.
{"type":"Banniere-Basse"}