Marquée à vie par l’exil qu’elle a connu, la scénariste de bande dessinée creuse ses obsessions en BD et ailleurs. Elle était présente au festival BD à Bastia, où nous l’avons rencontrée..
Depuis le début des années 2000, la scénariste Loo Hui Phang écrit de la bande dessinée et ses collaborations (Les Enfants pâles et Nuages et pluie avec Philippe Dupuy, Black-out avec Hugues Micol ou L’Odeur des garçons affamés avec Frederik Peeters) lui ont valu en 2021 le prix René-Goscinny.
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Il y a trois semaines, elle présentait l’exposition Écrire est un métier au festival d’Angoulême. Le week-end dernier, elle a accompagné Hugues Micol pour présenter les planches de Black-out à BD à Bastia. Les 9 et 10 avril, Cache-cache, le spectacle qu’elle a écrit – dans lequel deux dessinateurs utilisent la peau de deux danseurs – sera donné au festival Pulp de la Ferme du Buisson. Rencontre avec une autrice qui fuit le surplace et la routine.
Pourquoi cette exposition sur le métier de scénariste au festival d’Angoulême ?
Loo Hui Phang – Si on voit très bien la part de travail d’un dessinateur, celle d’un scénariste reste très abstraite pour le public. Je voulais ancrer ce métier dans une réalité quotidienne en demandant à la trentaine de scénaristes participants de documenter leur environnement de travail, leur méthodologie. Dans les archives de l’Institut René Goscinny, j’avais vu des pages de scénario qu’il avait tapées à la machine, sans rature. Leur découverte a aussi été l’étincelle à l’origine de cette exposition. Ces choses, on ne les voit jamais, et rendre visible l’invisible me travaille.
Que partagez-vous avec les autres scénaristes ?
On est scénariste à cause de notre parcours et autodidacte. Pierre Christin, qui a amené une vision géopolitique dans la BD, est journaliste de formation, Marie Bardiaux-Vaïente, historienne… Cela donne des profils et des contenus différents. Par exemple, il faut avoir écrit des scénarios de jeux vidéo comme Thomas Cadène pour imaginer l’histoire qu’il a écrite pour la BD Alt-Life.
Parmi les scénaristes que vous avez invité·es figure l’Anglais Chris Claremont qui a écrit pendant 15 ans les X-Men…
Petite, quand j’allais chez mes cousins, je me mangeais des paquets énormes de ses histoires pour Marvel. Quand on est un enfant étranger en France, c’est génial de lire les X-Men, ces marginaux qui transforment leurs défauts en super-pouvoirs. Il y a quelque chose de l’ordre du conte tel que décrit par Bruno Bettelheim dans La Psychanalyse des contes de fée, c’est une métaphore fictionnelle qui construit sa psyché et prépare à la suite.
Comment en êtes-vous arrivée à écrire des scénarios ?
Mon arrivée dans la bande dessinée a été accidentelle. Dans les années 1990, je vivais en Normandie et je suis tombée sur les livres de l’Association, de Cornélius. Quand je suis arrivée à Paris, ma première famille d’amis a été les auteurs de cette nouvelle bande dessinée, David B., Blutch. Ces rencontres m’ont encouragée à écrire et, un jour, Jean-Pierre Dufour m’a demandé une histoire pour mon premier livre.
Dans votre bibliographie, on ne trouve pas de personnage récurrent ou de série. Pourquoi ?
Je cherche l’inconfort, j’ai envie d’être débutante à chaque fois. Je me méfie de la routine et des réflexes et en même temps, j’ai l’impression d’écrire la même histoire. Je suis fascinée par l’absence, le vide qui a été habité. Tout découle d’une expérience originelle : l’exil très tôt du Laos. J’avais un an et j’ai grandi avec ce grand absent, mon pays d’origine. Ce vide, l’histoire de ma famille et toutes les choses que l’on ne m’a pas racontées, je dois le remplir avec mes histoires à moi pour ne pas qu’il m’anéantisse. Ça conditionne mon écriture où il y a beaucoup d’ellipses – la bande dessinée est l’art de combler les vides –, où je fais intervenir beaucoup de non-dits, de fantômes.
L’exemple le plus récent est Black-out, dessiné par Hugues Micol avec son acteur métis effacé de l’histoire d’Hollywood.
Je voulais raconter l’histoire d’un acteur qui n’imprimerait pas la pellicule, comme un vampire dont on ne verrait pas le reflet. En imaginant le destin de ce comédien métis coupé au montage, je pensais aller loin. Après, j’ai découvert la vie de Paul Robeson dont la CIA a escamoté la carrière.
Et aujourd’hui ?
Malgré tout, à Hollywood, il y a de la diversité, ce qui n’est pas le cas dans le cinéma français. Le milieu de la BD est aussi de plus en plus diversifié. Il faut donner du courage pour que des jeunes puissent se dire qu’elleux aussi y ont leur place. J’espère aussi qu’il y aura de plus en plus d’auteurs et d’autrices trans qui pourront partager leurs expériences.
Au-delà de la BD, vous écrivez aussi du théâtre, des spectacles comme Cache-cache, qui sera donné au festival Pulp…
Je suis toujours traversée par des visions et je me demande quelle est la forme la plus excitante à leur donner. Les rencontres déclenchent aussi des choses. Ce mois-ci, je pars à l’aventure à La Nouvelle-Orléans avec le musicien Joseph d’Anvers. L’idée est d’y faire de la musique, de produire des images. Une chanson de Joseph nous sert de point de départ de ce projet southern gothic. J’ai aussi demandé à rencontrer des spécialistes du vaudou. La Nouvelle-Orléans a aussi ses fantômes…
Propos recueillis par Vincent Brunner.
Black-out de Loo Hui Phang et Hugues Micol (Futuropolis) 200 p., 28 €.
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