“Pachinko” saisit la beauté et le tragique du quotidien et de la famille confrontée à l’exil.
Dans le troisième épisode de Pachinko, une vieille dame prénommée Sunja pleure devant son petit-fils. Elle craque après avoir goûté un plat de riz qui lui rappelle ses années en Corée quand elle était petite. C’était avant le déplacement forcé au Japon – le pays du Soleil Levant a colonisé la Corée entre 1905 et 1945 – et l’éclatement géographique de la famille.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ce riz a une autre texture et même un autre goût, celui d’une vie chez soi qui a été possible et qui ne l’est plus. Devant le visage interrogatif du jeune homme trop occupé à bosser dans la finance et incapable de noter la différence gustative – il n’a manifestement pas lu Proust –, la meilleure amie de sa grand-mère monte au créneau : “Ne méprise pas ses larmes, elle a gagné le droit de les verser.”
Ce moment est émouvant et même plus. Dans la fiction, certaines phrases sonnent comme des manifestes, des manières d’envisager le monde et la façon de le raconter. Ne pas mépriser les larmes, c’est accueillir le mélodrame, genre aussi vieux que le cinéma et les séries, aux conventions extrêmes et lisibles à la fois. De l’amour, des drames, des sentiments. Comme le disait le titre d’un recueil du critique Louis Skorecki, les violons ont toujours raison.
À travers les lieux et les époques
Sunja est l’héroïne de Pachinko, que nous regardons avancer à plusieurs âges, toute jeune femme puis beaucoup plus vieille, tandis que les actrices Minha Kim et Youn Yuh-jung (oscarisée en 2021 pour Minari) se succèdent pour l’incarner. Crée par Soo Hugh, adaptée d’un best-seller de Min Jin Lee, autrice coréenne américaine installée à New York, la série se déploie du début du XXe siècle à la fin des eighties.
Nous voyageons entre la Corée, Tokyo et les États-Unis, les époques et les géographies se mêlent – contrairement à la structure du livre, plus classique – et quelque chose, irrésistiblement, fait penser à This Is Us, grande tentative de saisir la vie dans sa nature morcelée et mélancolique. Le pachinko, jeu d’argent et de hasard japonais qui se présente comme une sorte de flipper vertical, donne l’illusion à ses joueurs et joueuses d’avoir une influence sur son déroulé. Cela reste toujours une illusion. La série reprend ce principe et l’étend au destin de ses personnages, que nous regardons bouche bée.
L’exil, sujet contemporain
Les réalisateurs Justin Chon (Blue Bayou) et Kogonada (After Yang), hérauts du cinéma indépendant US contemporain, complètent l’équipe créative en majorité composée de Coréen·nes-Américain·es et donnent à Pachinko une touche éthérée. Toutes proportions gardées, on retrouve ici quelque chose de l’attention au détail et au souvenir des films de Wong Kar-wai.
Dans le flux incessant des nouveautés et des propositions narratives, voilà une série qui tire aisément son épingle du jeu. Elle touche juste car elle donne corps à toutes les formes d’exil – y compris l’exil intérieur que nous connaissons peut-être tous·tes – et raconte la douleur des déplacements, sujet contemporain absolu. Elle le fait en partant de l’expérience des femmes, opprimées parmi les opprimé·es, avec une douceur souvent enveloppante. Autant dire que l’hiver qui revient tombe à point nommé pour regarder Pachinko.
Pachinko. Disponible sur Apple TV+.
{"type":"Banniere-Basse"}