“What story is that, Charlie ?” La personne la plus attendue de la série – Audrey Horne – étant revenue (quoique un peu barrée), on entrevoit un rêve plus inaccessible : le retour de Philip Jeffries, alias David Bowie, qui pourrait trouver un certain écho dans l’épisode 14 (chut !). Pour l’heure, le bon et le méchant Cooper reprennent les rênes du show avec une maestria soufflante…
Naturellement, tous les pronostics précédents s’effondrent à la vision du nouvel épisode. Mais le but d’une série n’est-il pas avant tout d’avancer ? Dans les jeux de jonglage où l’on fait tournoyer des assiettes sur des piques, il faut sans cesse redonner une impulsion à celles qui sont en perte de vitesse. Idem dans la série : on relance des segments délaissés dans les épisodes précédents. Ici on remet l’accent sur les avatars de Dale Cooper – Dougie Jones et Mr. C. –, qui se montrent à la hauteur de nos attentes et relancent la machine Twin Peaks. Lynch aurait déclaré qu’il considérait la saison 3 comme un long métrage de 18 heures. Pourtant, des questions d’équilibre et de construction génèrent des hausses ou des baisses de régime. Dans le n°13, tout est plus vrai et plus intense. Les séquences importantes durent plus longtemps et ont une vraie complexité. Même la séquence apparemment guillerette qui ouvre l’épisode et traite des conséquences des bonnes actions de Dougie Jones, l’idiot génial, prend de l’ampleur grâce à un superbe quiproquo psychologique (Dougie touche les épaules de son collègue Tony qui veut l’assassiner ; cela déclenche chez celui-ci une crise de larmes et de contrition). Evidemment, le gros morceau de l’épisode 13 est la confrontation d’Evil Cooper alias Mr.C. à un gang patibulaire. La clé de cette longue séquence n’est pas vraiment ce qui se dit, ni ce qui se fait, mais comment. En particulier le bras de fer avec Renzo, l’imposant chef du gang, où Bad Coop joue sa vie – bien qu’il ait déjà ressuscité. Ce sont les expressions (au sens verbal et physique) de Cooper qui rendent la scène extraordinaire. Au lieu de battre le colosse d’un seul coup, il fait durer le plaisir en forçant le bras de son adversaire à revenir sans cesse au milieu pour recommencer. Il déclare alors que “la position de départ” (“starting position”) est la plus confortable. Quoi de plus génial pour prolonger le suspense ?
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https://www.youtube.com/watch?v=f9sBr571y8o
Alors Charlie, et cette histoire ?
Il y a aussi quelques moments moins forts, qui sont souvent des réflexions sur ce monde décati qu’est devenu la ville de Twin Peaks, où de vieux fantômes continuent à chercher la solution d’une affaire classée depuis des lustres. Voir la séquence où l’on apprend que le Double R est devenu une franchise et que Norma devra réduire la qualité de ses fameuses cherry pies pour des questions de rentabilité. Ou bien le remake quasi autoparodique d’une séquence : James Hurley mimant sur la scène du Bang Bang Bar une chanson romantique qu’il chantait dans la Saison 2 (Just you) avec une voix de falsetto (un playback de la version de 1991). Deux personnages continuent à creuser le sillon de leur folie. Notamment Sarah Palmer, dans la scène la plus zarb du n°13, qui fait des allers-retours à sa cuisine, fumant et buvant pendant que la télé diffuse en boucle hypnotique un fragment d’un vieux combat de boxe. Là aussi c’est la durée qui rend ce passage hypnotique. Autre cas spécial : Audrey Horne, qu’on retrouve en discussion avec son mari Charlie. Mais au lieu de la révélation promise par le titre de l’épisode (“What story is that, Charlie ?”), Audrey divague, exprime un sentiment d’aliénation totale (“qui suis-je”, “où suis-je ?”), à quoi Charlie répond, narquois, que c’est le B-A-ba de l’existentialisme (“existentialism 101”).
https://www.youtube.com/watch?v=3H8–Lk0LNc
Le mystère Philip Jeffries
Selon certains (dont un de nos lecteurs), la (non-)révélation de Charlie aurait trait aux horreurs commises par Richard Horne, le fils putatif et maléfique d’Audrey. Trop simple. Une autre rumeur dit que Richard serait le résultat du viol d’Audrey par Mr. C. Ha ha. Ce qui est certain, c’est que le monde de Twin Peaks tourne en rond et se délite. Mais se délitera-t-il suffisamment avant le terme de cette ultime saison, qui est proche ? Quelque chose nous dit qu’il n’y aura pas de vraie résolution. Espérons qu’on sera au moins fixé sur l’autre Arlésienne : Philip Jeffries, agent renégat du FBI, surgi dans Twin Peaks Fire walk with me sous les traits de David Bowie, qui serait le mastermind de plusieurs crimes. La diffusion fortuite ( !) de l’épisode 14 sur la chaîne allemande Sky aurait permis d’en savoir plus sur cette figure invisible (vraisemblablement dans un flashback de Fire walk with me). Mais même l’apparition de Jeffries sous une forme ou une autre ne résoudrait pas tout. Notamment les énigmes du déjà mythique épisode 8. En particulier comment un insecte monstrueux s’introduisant dans le corps d’une jeune fille en 1956 aurait déclenché tout ce mal, ou comment le premier essai atomique de 1945 aurait ouvert le portail de l’enfer dans une bourgade forestière du Nord-Est des Etats-Unis. Plus que cinq épisodes pour résoudre ces rébus cosmiques…
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