Le cinéma de genre passé à la moulinette de deux (ou trois) cinéastes un peu dingues.
Le duo Hélène Cattet-Bruno Forzani (Amer, L’étrange couleur des larmes de ton corps) et F. J. Ossang (L’affaire des divisions Morituri, Le trésor des îles Chiennes, Dharma guns, etc.), de manière très différente, partagent un même goût pour un cinéma référencé, référentiel, pour les genres et leurs codes, pour les films Z, le cinéma d’exploitation.
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Laissez les cadavres bronzer est l’adaptation réputée inadaptable du premier roman noir de Jean-Patrick Manchette, co-écrit avec Jean-Pierre Bastid. L’histoire, comme souvent dans ce genre de roman, n’a rien d’originale, puisqu’il s’agit de celle d’un casse (des lingots d’or) qui va foirer. Tout est dans la forme. D’abord dans celle que Manchette avait donné au récit, revenant plusieurs fois en arrière, multipliant les points de vue. Cattel et Forzani en rajoutent et s’en donnent à coeur joie, dans un style évidemment assez difficile à définir tant il est multiréférentiel (aussi bien du côté de la musique que du cinéma) et pourtant harmonieux, plein et cohérent, qui irait de Sergio Leone à Melville (Jean-Pierre) en passant par Russ Meyer (ou le contraire…). Alors tout le monde transpire (nous sommes en Corse), se tire dessus, la narration forme des boucles d’images, qui avec les extrêmes grands angles et les gros plans forment une symphonie pleines de couleurs flamboyantes.
Nul plan laissé au hasard, ici, le duo est redoutable dans son exigence formelle et la précision. Sans jamais tomber dans la facilité d’un Tarantino. Avec des poussées d’adrénaline, des idée de cinéma brillantes, de la vulgarité et de la violence transcendés. Les acteurs sont formidables, notamment l’extraordinaire Elina Löwensohn, actrice muse par excellence (autrefois de Al Hartley, aujourd’hui de Bertrand Mandico), l’ex-boxeur Stéphane Ferrara (qui joua autrefois dans Détective de Godard, mais aussi chez Ossang !), avec sa tronche de truand, son regard perçant et son nez à la Blueberry, ou Bernie Bonvoisin qui meurt d’une belle mort dans une pluie de gouttes d’or que le feu des mitraillettes a fait fondre (superbe). Tout cela est un peu (ou beaucoup) fou, mais toujours très inspiré. On espère que ce nouvel opus les fera connaître un peu mieux du grand public.
F.J. Ossang, notre cinéaste punk culte, fait toujours à peu près le même film et pourtant ses films ne ressemblent pas. Un cinéma lui aussi plein de références, peut-être plus évidemment littéraires. Citons-en quelques-unes (nous en oublions beaucoup) : Edgar P. Jacobs, Fritz Lang, Hugo Pratt, Conrad, Murnau, Lautréamont (cité dans le film), Melville (Herman), Kafka, Borges, voire Startrek… Dans le noir et blanc superbe de Neuf doigts, Ossang nous raconte une histoire romanesque et folle à souhait, très mystérieuse et surtout très improbable (entre film noir ésotérique, film d’aventure surnaturel et roman de science fiction complotiste à deux balles…), qui va nous amener sur un cargo de nuit dont les passagers vont bientôt être victimes d’un mal inconnu… Aux acteurs fidèles d’Ossang (son actrice-fétiche Elvire, l’acteur portugais oliveirien par excellence Diogo Doria…) viennent s’adjoindre de nouveaux venus classieux : Gaspard Ulliel, Pascal Greggory, Paul Hamy (L’ornithologue de Joao Pedro Rodriguez), Damien Bonnard (vu dans Rester vertical d’Alain Guiraudie) totalement sublimés et souvent méconnaissables. C’est drolatique, c’est déchirant, c’est foudingue, c’est Ossang.
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