Après avoir multiplié les enquêtes sensibles, la procureuse a finalement jeté l’éponge, déplorant
l’impuissance de l’ONU quant au cas syrien. Portrait d’une femme sans langue de bois qui se sera battue contre l’injustice et la corruption avec panache et pugnacité.
« Je ne peux plus être dans cette commission qui ne fait absolument rien. » Fidèle à elle-même, Carla Del Ponte a annoncé, dimanche 6 août, qu’elle allait démissionner de la commission d’enquête des Nations unies sur la Syrie sans prendre de gants. Et dire que celle que ses adversaires surnomment « Carla la peste » ou « la nouvelle Gestapo » est remontée serait un doux euphémisme, en témoignent ses virulentes confessions données au journal suisse Blick : « Je suis frustrée, j’abandonne ! J’ai déjà écrit ma lettre de démission et vais l’envoyer dans les prochains jours. »
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Carla Del Ponte ne semble plus assez forte pour enquêter sur l’usage d’armes chimiques en Syrie, le massacre des Yézidis ou encore le bombardement de convois humanitaires. Sans détour, elle accuse les membres du Conseil de sécurité de « ne pas vouloir établir la justice« . Créé en août 2011, l’organisme a pourtant bien documenté des violations des droits de l’homme et des crimes de guerre. Mais n’a jamais été entendu pour que la Cour pénale internationale soit saisie, elle qui reste incapable de juger des auteurs de crimes, y compris contre l’humanité, commis en Syrie.
Reine des esclandres
Aussi fracassante soit cette déclaration d’abandon, il en faudrait bien plus pour bouleverser l’échiquier politique, tant la magistrate suisse est devenue coutumière des tonitruantes incartades. « Il existe des suspicions fortes et concrètes, mais pas encore de preuves incontestables de l’utilisation d’armes chimiques par les rebelles syrien« , assurait-elle en mai 2013, créant ainsi un scandale diplomatique mettant à mal ses pairs.
En septembre 2015, rebelote. Dans un rapport rendu à Genève, Carla Del Ponte attaque sans finesse le pourtant très délicat cas de Bachar el-Assad. Elle le reconnaît, les négociations avec le président syrien sont capitales pour aboutir à la paix. Mais elle insiste : suite à ces discussions, la justice devra faire son travail. Autrement dit, le chef d’Etat devra tôt ou tard payer pour ses crimes. Même si pour elle, au fond, qu’importe le parti, l’organisme ou le pays. Carla Del Ponte, désoeuvrée, estime n’avoir plus que des ennemis : « Tous sont du côté du mal. (…) L’opposition n’est désormais composée que d’extrémistes et de terroristes » tranchait-elle, amère mais catégorique.
Némésis de la corruption
Désillusionnée, la spécialiste du crime de guerre originaire du Tessin ne l’a pourtant pas toujours été. Née en février 1947, Carla Del Ponte se rêvait médecin. C’était sans compter sur son insatiable soif de justice, qui la poussera à devenir avocate. Où sa hargne et sa pugnacité lui attirent bien vite une kyrielle d’ennemies. Dans les seventies, elle signe son premier coup d’éclat : le démantèlement d’un trafic d’héroïne, la « Pizza Connection ». L’affaire est digne d’un film de Martin Scorsese : des Siciliens revendent de la drogue venue tout droit de Turquie puis d’Italie dans leurs pizzerias new-yorkaises !
Ultime Némésis de la Cosa Nostra, la mafia sicilienne, elle échappe à un attentat en 1988, alors qu’elle rend visite à son ami et mentor, le juge italien Giovanni Falcone. L’organisation criminelle parviendra quatre ans plus tard, en mai 1992, à tuer le magistrat dans une explosion à Palerme. Deux mois plus tard, Paolo Borsellino, autre grand juge antimafia de l’époque, est pulvérisé par une bombe en sortant du domicile de sa mère. Des assassinats spectaculaires qui fragilisent à tout jamais la femme politique, sans toutefois anéantir sa foi placé dans le système judiciaire.
Dans les années 1990, nommée à la tête du parquet fédéral suisse, elle enquête sur les mécanismes de blanchiment d’argent dans les banques helvétiques, notamment par la mafia russe et les cartels de drogue colombiens. Mais sa plus grande prouesse reste le procès de Slobodan Milosevic, premier chef d’Etat à comparaître devant la Cour pénale internationale. Alors à la tête du Tribunal pénal international (TPI) pour l’ex-Yougoslavie de 1999 à 2007, Carla Del Ponte traque sans relâche les responsables des exactions.
Loin de faire l’unanimité
Mais côté collègues aussi, Carla est redoutée. Véritable électron-libre sa « grande gueule » et ses méthodes acharnées ne manqueront pas d’agacer plus d’un confrère. A plusieurs reprises, des enquêteurs lui ont reproché de « tirer plus vite que son ombre ». Au risque de parfois bâcler des dossiers, de froisser des susceptibilités, la courtoisie lui faisant souvent défaut. Des critiques dont Carla Del Ponte n’aura que faire. « Dans ce métier, il faut avoir le cuir épais« , expliquait-elle d’un ton badin au cours d’un entretien avec Libération en 2007. Entre prudence et ténacité, la pire ennemie des corrompus a vite tranché, jugeant les deux modes opératoires, hélas, que rarement compatibles…
Coup de poker ?
Jusqu’à récemment, le jeu en valait pourtant la chandelle : son parcours était net et sans échec, hormis ses quelques maladresses diplomatiques qui, paradoxalement, ont fait toute sa gloire. Mais le cas syrien aura eu raison de Carla Del Ponte. Initié en mars 2011 par la répression de manifestations pro-démocratie et opposant initialement armée et rebelles, le conflit en Syrie s’est complexifié au fil des années. L’altercation a fait plus de 330 000 morts et des millions de déplacés et réfugiés. Poussée dans ses derniers retranchements, cette éternelle révoltée jette-t-elle véritablement l’éponge ? Ou ne tenterait-elle pas là un ultime coup de pression sur le Conseil de sécurité ? Affaire à suivre…
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