En direct des années 50, ‘Master of Sex’ analyse les blocages d’une société puritaine et balaye les rapports d’un pays à son intimité. Chaud et froid en même temps.
L’invasion des séries vintage, en marche depuis Mad Men et Magic City, a été réactivée en début d’année par la très années 80 The Americans. Cet automne, l’amour des vieux meubles, des voitures trop grandes et des vêtements qui ont fait douze fois le tour de la mode revient encore plus fort avec une nouveauté de la chaîne câblée US Showtime, au titre en forme d’aimant à clics pour les sites de news du monde entier : Masters of Sex. La période choisie – la fin des années 50 – correspond peu ou prou à celle des débuts de Don Draper. Un moment de l’histoire décidément mythique pour les auteurs de télévision contemporains. Pensent-ils y trouver une Amérique plus belle et innocente mais aussi davantage porteuse de récits que celle d’aujourd’hui ? C’est parfois le sentiment qui se dégage des débuts intéressants de cette création au parfum d’épopée. Mais une épopée qui déroule ses conquêtes en laboratoire.
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Des recherches scientifiques « hors cadre »
William Masters et Virginia Johnson ont figuré parmi les précurseurs de l’étude in situ des comportements sexuels humains. Leur travail a commencé après la publication des célèbres rapports publiés par Alfred Kinsey (mort en 1956) et s’est poursuivi jusqu’aux années 90. Il y eut quelques couacs retentissants dans leur parcours, notamment un programme plus que controversé censé « convertir » les homosexuels à l’hétérosexualité, dans les années 70, sur lequel Masters et Johnson ont plaidé le malentendu. La série débute une vingtaine d’années plus tôt, au moment de leur rencontre. Lui est médecin et tente d’imposer aux caciques réticents de son hôpital le financement de ses recherches hors cadre ; elle est embauchée comme son assistante et devient illico indispensable.
Ensemble, ils équipent quelques cobayes tous contents d’être là avec des électrodes et leur demandent de coucher ensemble. Ensuite, ils matent. Et nous aussi. C’est le côté « série adulte du câble » de Masters of Sex. Les paires de seins et les culs ne manquent pas dans le premier épisode. Dès le suivant, les séances érotico-scientifiques sont moins nombreuses et le véritable projet, plutôt ambitieux, se dévoile. Il s’agit à la fois de parler du sexe, de le montrer, mais aussi de prendre le recul nécessaire pour balayer le rapport d’un pays (voire d’une civilisation) avec son intimité.
Un manque d’audace
Pour explorer cette terre vierge, Masters of Sex choisit un angle à la fois simple et rigoureux, en montrant que les femmes possèdent toutes les clefs. Johnson est une jeune mère libérée qui prodigue une fellation à son amant le premier soir et invente sans le savoir le concept de fuck buddy. Son patron, lui, étudie la question sexuelle avec passion mais ne baise pas, ou si peu, si mal. L’orgasme féminin comme mystère originel traverse le premier épisode, tout comme il avait hanté le très beau film de Jean-Claude Brisseau, Choses secrètes, auquel on pense étrangement. D’une manière générale, ici, les hommes ont un mal fou à passer outre les conventions puritaines si puissantes en Amérique à cette époque, tandis que les femmes réfléchissent et agissent, incarnant avec profondeur le lien entre corps et esprit. Elles peuvent être lesbiennes et vouloir un enfant, elles lisent Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir à la cantine, elles sont déjà prêtes pour la révolution sexuelle et au-delà.
Alors que la renversante Lizzy Caplan (Virginia Johnson), aux faux airs d’Emmanuelle Devos période Comment je me suis disputé…, illumine le casting, Masters of Sex manque encore d’audace dans sa narration, parfois un peu appliquée. Mais la créatrice Michelle Ashford, une ancienne de The Pacific, a sans doute plusieurs coups d’avance. Cette série s’annonce comme l’oeuvre de sa vie.
Olivier Joyard
Masters of Sex à partir du 11 octobre, OCS City
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