A Aubervilliers, même si la mort de Chaolin Zhang constitue un tournant politique, l’insécurité persiste pour la communauté chinoise.
« Ah non, ça ne s’est pas arrêté, c’est toujours dangereux ici. » Assis dans un petit local situé au fond d’une arrière-cour d’Aubervilliers, Chen cherche des photos sur son portable, les yeux rivés sur l’écran. « On se fait encore agresser, un peu moins peut-être, mais il y a toujours de l’insécurité », glisse-t-il dans un français un peu hésitant. Ce chauffeur VTC chinois de 40 ans est à la tête de l’Association des Jeunesses Chinoises de France (ACJF). De temps à autre, son fils d’une dizaine d’année, Français lui, traduit.
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Chen redresse la tête et montre l’écran de son smartphone. Il fait défiler une quinzaine de photos de plaies ouvertes, de visages tuméfiés, de jambes et de bras cassés. « A chaque fois qu’on nous vole, on se fait frapper. » Pour lui, il n’y a aucun doute : « C’est parce qu’on est chinois. C’est du racisme. »
« Quand ils voient un Chinois, ils voient de l’argent »
Il y a un an, le 7 aout 2016, Chaolin Zhang, un couturier de 49 ans, habitant d’Aubervilliers, perdait la vie à la suite d’une agression perpétrée par trois jeunes hommes. Après sa mort, la communauté asiatique et les associations avaient battu le pavé pour protester contre ces violences, avec un mot d’ordre : « La sécurité est un droit. » Il y a deux semaine, la justice a retenu la circonstance aggravante de racisme. Les trois agresseurs ayant reconnu avoir attaqué Chaolin Zhang parce qu’il était chinois.
« A Aubervilliers, les gens nous volent parce qu’ils pensent que les Chinois ont toujours de l’argent sur eux », assure John, 27 ans, serveur dans un restaurant asiatique de la ville. Selon lui, quand leurs agresseurs « voient un Chinois, ils voient de l’argent ».
Un préjugé qui, selon Me François Ormillien, l’un des avocats de la famille de Chaolin Zhang, se serait formé dans les cités dures des alentours. « Il a dû y avoir deux ou trois vols où des personnes se sont fait voler beaucoup d’argent et depuis le bruit court que tous les Chinois sont argentés. »
Des équipes spécialisées dans l’agression d’Asiatiques
Le mode opératoire est toujours le même. Trois ou quatre personnes, souvent jeunes, parfois mineures, se réunissent pour agresser en bande des personnes d’origine Asiatique. « C’est quasiment de notoriété publique que des équipes de La Courneuve, Pantin ou Aubervilliers, sont spécialisées dans l’agression d’Asiatiques », assure Me Ormillien.
Des agressions parfois très violentes. Il se rappelle par exemple d’une affaire récente où une famille entière s’est faite agressée à son domicile, aspergée d’essence et menacée avec un briquet.
Liu, 57 ans, patron d’un restaurant d’Aubervilliers s’est fait arracher son portable il y a quelques mois et frapper au sol par « quatre personnes armés de tessons de bouteilles« . Des histoires comme ça, « toute la communauté en a vécu« , assure quinquagénaire. En France depuis plus de vingt ans, ce dernier le jure : « Tout le monde autour de moi s’est fait agresser au moins une fois. »
Des rondes à la sortie du métro
Mais à les croire, les plus vulnérables seraient les femmes. La mère de John, le jeune serveur, a été agressée trois fois. « Juste parce qu’elle portait un sac. Une fois elle ne portait qu’un sac avec de la nourriture dedans, ils le lui ont arraché », se souvient-il en secouant la tête. « Les femmes n’osent plus sortir le soir sans être accompagnées, elles ne sortent plus avec des bijoux ou des sacs. »
En réaction, la communauté d’Aubervilliers s’est organisée. « Tous les samedis soirs, on fait des rondes à la sortie du métro, explique Chen. On est une petite dizaine et on fait des aller-retours pour chercher les femmes qui rentrent chez elles. » Les membres de la communauté chinoise se préviennent via WeChat, une messagerie instantanée très prisée en Asie, pour se relayer et venir chercher les femmes. En haussant les épaules, Chen se justifie. « On ne peut pas faire toujours appeler la police qui n’est pas toujours là. Alors on fait ce qu’on peut. »
Prise de conscience des pouvoirs publics et instances de dialogue
Pour autant, malgré ce sombre tableau, tous s’accordent à dire que « Ça s’est un peu amélioré depuis la mort de Chaolin Zhang ». Non par rapport à l’insécurité, toujours présente, mais dans la réponse des pouvoirs publics. « On est plus écouté depuis l’année dernière, pense Chen. C’est depuis qu’on s’est mobilisé. »
En réaction aux grandes manifestations d’août et septembre 2016, les autorités ont augmenté les effectifs de police. Parallèlement, elles ont mis en place des instances de dialogue privilégiée avec la communauté.
« Par exemple, à la sous-préfecture de Saint-Denis, il y a désormais un comité de sécurité, détaille Rui Wang. C’est un gros progrès. » Alors président de l’AJCF, ce jeune Français de 30 ans, d’origine chinoise, avait été un des artisans de la mobilisation de la jeunesse l’année passée. Aujourd’hui, il siège dans ce comité. « Régulièrement, on voit où en est, qui avance sur quoi. On a réussi à faire installer des caméras sur des lieux où il y avait beaucoup d’agressions. » D’après lui, s’il n’y a « pas de quoi crier victoire », il y a néanmoins « une baisse d’environ 60 % des agressions depuis 2016 ».
De son côté, Me Ormillien note lui-aussi quelques signes positifs. Pour faciliter le dépôt de plaintes, des stagiaires parlant chinois ont été embauchés par les commissariats. Selon tous les observateurs, les autorités auraient pris conscience du caractère raciste de ces actes.
Un tournant énorme
Pour Ya-Han Chuang, spécialiste de l’immigration chinoise et de sa mobilisation politique, ce point est primordial.
« La mort de Chaolin Zhang a donné une légitimité aux revendications de la communauté chinoise, analyse-t-elle. Il y a une vulnérabilité des habitants chinois depuis les années 2000, mais la mort de Chaolin Zhang a permis de la modéliser, de la faire éclater au grand jour. Les pouvoirs publics ont soudain eu conscience d’une part que la communauté chinoise était gravement menacée et d’autre part qu’elle était capable de s’organiser pour protester. »
Selon la chercheuse, même si l’insécurité persiste, « ce drame a été un tournant énorme. Il marque la convergence entre une volonté de plus de sécurité et une lutte anti-raciste. C’est grâce à la mobilisation générale que les autorités ont entendu ces protestations. Ils se sont rendus compte de la gravité de la situation. » Un fait inédit pour une communauté qui a longtemps réglé les problèmes en son sein.
Le réveil de la jeunesse française d’origine chinoise
Comme toute diaspora, la communauté chinoise fonctionne beaucoup avec des associations. Fin 2016, les jeunes Français d’origine chinoise ont pris le relai des instances tenues par les plus anciens. « Les jeunes parlent la langue et ont un vrai savoir-faire avec les réseaux sociaux, explique Ya-Han Chuang. Les anciens, souvent des commerçants, parlent mal, et se sentaient isolés, mal-intégré, handicapés par cette barrière de la langue. A l’été 2016, on change de paradigme. »
Rui Wang confirme cette analyse :
« La mort de Chaolin Zhang a été un tournant en ce sens qu’il y a eu le réveil de cette jeunesse française d’origine chinoise. Toute cette génération nourri à la culture française. Ils sont français, ils ne veulent plus se laisser faire et subir ce racisme. C’est une classe moyenne qui émerge, qui ne veut plus se laisser faire. »
« Ils sont Français, ils ne veulent plus se laisser faire »
Sous couvert d’anonymat, un jeune membre d’une nouvelle association née après la mort de Chaolin Zhang va encore plus loin. Il parle d’une lutte de pouvoirs entre jeunes et anciens. « En 2016, on passe d’une myriade d’associations de commerçants chinois qui contrôlaient un peu la communauté à des associations de jeunes français », explique-t-il.
D’après lui, les associations préexistantes étaient, sinon noyautées, du moins en relation étroite avec l’ambassade de Chine en France. « Les jeunes, eux, ne veulent plus de cette mainmise, ils ne recherchent plus la reconnaissance de la Chine. Ils sont Français, ils se tournent vers la France. Ils se sont rebellés à la fois contre la famille et contre l’Etat. Ils ne veulent plus se taire. »
Dans son petit local, Chen ne semble pas au courant. Pourtant, en regardant son fils occupé à traduire ses mots, il résume la situation. « Ça ne va pas du tout. Nos enfants sont français, ils n’ont pas à subir ce racisme. Il faut les protéger.”
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