Beau et déstructuré, le film d’Ely Dagher trace un parallèle entre l’atonie de son héroïne et un Liban meurtri par la crise.
Après un long séjour en Europe où elle était censée faire des études, Jana revient à Beyrouth. Pourquoi ? Ses parents sont contents de la revoir, mais la jeune femme parle peu, s’enferme dans sa chambre, dort beaucoup, reste distante.
Et Beyrouth a bien changé. Tout est à la fois comme avant et différent, et Jana ne reconnaît plus vraiment la ville où elle est née, où elle a vécu son enfance. On aperçoit encore, entre les nouveaux immeubles, la mer, mais de moins en moins.
Paradoxale et moribonde
Le Beyrouth hivernal tel que nous le montre Ely Dagher, qui a tourné son film avant l’explosion du 4 août 2020, est déjà une ville paradoxale, délirante, moribonde : à moitié désertée par ses habitant·es (la crise économique est déjà présente, bien sûr, alors les Libanais·es quittent le pays), mais des promoteurs qu’on croirait fous continuent à bâtir des espaces gigantesques, ultramodernes, luxueux, au bord de plages polluées. Pour qui, pour quoi ?
Les parents de Jana, au demeurant très aimants (filmés avec une vraie tendresse), errent eux aussi dans cette ville et même chez eux, sans travail, éperdus et perdus, fantômes hallucinés.
Le Liban est un pays malade de son passé et de son présent, dont chaque tremblement la secoue atrocement
Jana ressent plus qu’elle ne comprend tout ce que ce passé qu’elle n’a pas connu (la guerre, finie depuis 1990, ou de vieilles rivalités familiales jamais réglées) a pu laisser comme traces non résolues. Le Liban est un pays malade de son passé et de son présent, dont chaque tremblement la secoue atrocement.
Et puis Jana retrouve soudain son petit ami, Adam, qu’elle avait laissé à Beyrouth. Des retrouvailles joyeuses, mais le mal ou le malaise que diffuse la ville fait tout retomber, même l’amour, comme un pain dont la levure s’échapperait soudain.
Tout semble étrangement lourd, et Ely Dagher se montre très habile à filmer l’atmosphère d’une ville, à la modeler avec ses images.
La fiction rattrapée par le réel
Face à la mer (présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2021) devient un film de plus en plus abstrait, une longue errance dans des décors qui paraissent irréels alors qu’ils sont vrais, comme si la fiction et le documentaire ne faisaient plus qu’un. Un décor de béton armé mou ou un décor de théâtre gigantesque en carton-pâte qui deviendrait flou.
Comment s’accrocher quand il n’y a plus de prises ? Jana – dont on apprend peu à peu que la vie européenne fut loin d’être une partie de plaisir – va devoir choisir : rester dans ces sables mouvants ou partir ailleurs à la recherche d’un terrain solide où construire une vie, sa vie.
Face à la mer d’Ely Dagher, avec Manal Issa, Roger Azar (Lib., Fr., Bel., É.-U., Qat., 2021, 1 h 56). En salle le 13 avril.