Hanté par des identités multiples, “Moon Knight”, super-héros schizophrène, avait été inventé par Marvel en 1975, au milieu d’une vague de personnages de comics troubles. Il fait désormais l’objet d’une série de Jeremy Slater pour Disney+, aussi bancale que sa psyché.
Employé discret de la boutique d’un musée d’antiquités égyptiennes londonien, Steven Grant voit ses nuits parasitées par d’impressionnantes crises de somnambulisme. Malgré des précautions drastiques – il sangle son pied au lit avant de dormir ou scotche l’encadrement de sa porte d’entrée –, il lui arrive fréquemment de se réveiller loin de son oreiller, le corps fourbu par une errance nocturne.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Confronté à une menace qui le dépasse, il fait progressivement la connaissance de Marc Spector, un mercenaire surentraîné qui partage son corps et mène sa quête dans les angles morts de sa conscience.
De nouveaux territoires narratifs
Créée par Jeremy Slater, Moon Knight s’inscrit dans la lignée aventureuse des dernières productions télévisuelles issues de l’univers Marvel qui, contrairement à leurs homologues cinématographiques coulés dans un moule rigide, entreprennent de défricher de nouveaux territoires narratifs et formels.
Après WandaVision, qui réagençait le rapport à l’espace de son héroïne endeuillée à grand renfort de projections psychiques, et Loki, qui court-circuitait de façon ludique des lignes temporelles apparemment immuables, la série met en crise la notion même d’identité de son (ses) personnage(s).
Un riche collectionneur aux intentions troubles interprété par le regretté Gaspard Ulliel, qui trouve ici l’un de ses derniers rôles
Oscar Isaac s’y livre à une étonnante partition schizophrène qui le voit glisser d’un être à l’autre, chevillant sa composition sur les différences d’accents (Steven est anglais et Marc, américain) et de personnalités (le premier est un intello froussard, le second, un combattant endurci) de ses deux rôles.
Embarqué dans un affrontement mythologique entre les dieux d’Égypte, il croise la route d’Arthur Harrow (Ethan Hawke), inquiétant gourou décidé à éradiquer le mal de la Terre en exécutant les criminel·les avant qu’ils et elles n’aient fauté, celle de Layla El-Faouly (May Calamawy), aventurière intrépide intimement liée à Marc, mais aussi celle d’un riche collectionneur aux intentions troubles interprété par le regretté Gaspard Ulliel, qui trouve ici l’un de ses derniers rôles.
Ingrédients classiques mais surprenant imaginaire
On retrouve dans Moon Knight plusieurs ingrédients classiques des productions Marvel : héros composé en petites touches jusqu’à sa révélation fétichisée, autodérision permanente… Plus surprenante est sa façon d’embrasser un imaginaire hérité des serials d’aventure classiques – pilleurs de tombes, malédictions divines et antiques reliques –, fermant une boucle qui relie les figurations actuelles du genre super-héroïque aux archétypes qui l’ont structuré dans la première moitié du XXe siècle.
Si la tentation d’historiographier la série constitue un angle critique séduisant, elle ne masque pas les faiblesses d’un objet bancal qui, à l’image de son personnage dédoublé, ne sait pas trop sur quel pied danser, jouant le thriller schizophrène contre la comédie d’action et diluant ses visions horrifiques dans une mythologie de bazar qui frôle parfois le ridicule. Son argument lui offre pourtant de nombreux défis de mise en scène, qu’elle relève avec plus ou moins d’inspiration.
En quête de sa propre singularité
L’alternance de deux personnalités dans un même corps, générant chez chacune une désorientation temporelle et spatiale, est intelligemment exploitée dans les premiers épisodes qui s’en amusent comme d’un zapping mental intempestif, mais perd en efficacité quand elle devient concertée.
Matérialisé par un jeu d’ombres et de reflets, le motif du double s’ancre quant à lui dans une répétition des mêmes gimmicks formels qui appauvrissent son potentiel ludique. La fin du quatrième épisode (le dernier auquel nous avons eu accès) semble toutefois rebattre les cartes pour nous entraîner dans un territoire fictionnel moins balisé.
Si les deux vies de Steven/Marc l’empêchent d’exister pleinement, elles décuplent aussi ses potentialités physiques, intellectuelles et émotionnelles, permettant à l’employé effacé de s’affirmer et au mercenaire endurci de réparer ses blessures affectives.
Déplaçant ainsi les mécanismes de projection des spectateur·trices et des fans de comics au sein même de sa narration, Moon Knight pourrait finir, à travers ses lignes mal accordées, par trouver sa propre singularité.
https://youtu.be/YuR8O2FH6Pg
Moon Knight de Jeremy Slater, avec Oscar Isaac, Ethan Hawke, May Calamawy, Gaspard Ulliel. Sur Disney+ à partir du 30 mars.
{"type":"Banniere-Basse"}