Les premiers jours du festival lillois ont accueilli en compétition “We Own This City”, nouvelle série magistrale du créateur de The Wire sur les violences policières.
Marqués par la présence de l’Ukrainienne Julia Sinkevych en tant que présidente du jury, les premiers jours de Séries Mania ont prouvé à quel point les séries résonnent avec les folies du monde. Ce n’est pas une nouvelle fraiche, mais l’effet de loupe d’un festival aide à saisir la psyché contemporaine dans ses dédales plus ou moins ragoûtants. Si la guerre ne s’invite pas encore vraiment sur les écrans à Lille, quelque chose de la violence du monde se dessine impitoyablement.
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C’est le flic perdu et acculé de la britannique The Responder (Panorama International) où Martin Freeman, vu dans Sherlock, The Office ou encore la première saison de Fargo, arpente les rues de Liverpool la nuit dans un état second. Ce sera bientôt, en clôture ce vendredi 25 mars, le destin bousillé de Malik Oussekine, tué par la police française un soir de manif en 1986, dans la minisérie Oussekine d’Antoine Chevrollier, une très bonne surprise créée pour Disney +, ce qui tendrait à prouver que nous ne sommes plus à une surprise près. Qui aurait cru que la politique aurait droit de cité chez Mickey, quand bien même l’action se concentre sur la famille du jeune français fauché en plein vol ?
David Simon de retour avec We Own This City
Dans la même veine, l’événement du premier week-end lillois a été la présentation en compétition de We Own This City, la nouvelle série de David Simon (créateur de The Wire) et George Pelecanos (l’un de ses principaux collaborateurs, co-créateur de The Deuce). Un retour à Baltimore, théâtre de leur chef d’œuvre tourné entre 2002 et 2008, motivé par un livre du reporter Justin Fenton consacrée à une grave affaire de violences policières. En 2015, Freddie Gray, jeune homme noir de 25 ans, était tué par des policiers après une arrestation violente. Des émeutes éclataient dans la ville de l’Est des États-Unis, comme une sorte de répétition générale avant le décès de George Floyd en 2020, aux circonstances comparables. Simon et Pelecanos situent donc bien avant le mouvement Black Lives Matter leur toile fictionnelle qui navigue entre les semaines suivant la mort de Freddie Gray, mais aussi 2017, moment où de sérieuses enquêtes internes donnent des résultats, et même le début et milieu des années 2000, alors que les policiers responsables se trouvent en formation.
We Own This City ne déçoit pas, reprenant la rythmique et le sens romanesque de The Wire dans un contexte malgré tout entièrement neuf, trouvant ce tempo si singulier qui donne le sentiment d’entrer pour la première fois dans un monde jusqu’alors caché, aux strates bientôt infinies. Ici, tout vient de loin, dans l’espace et dans le temps. La série laisse ses personnages trouver leur forme, leur élocution, leurs gestes, que ce soit le castagneur/abuseur en chef joué par l’impressionnant Jon Bernthal ou un flic de bureau ultra sobre qu’interprète Jamie Hector, connu pour avoir incarné le baron de la drogue Marlo Stanfield dans les trois dernières saisons de The Wire. A son image, la série se concentre sur les personnages de policiers – contrairement à sa grande sœur, qui divisait la fiction entre le point de vue des représentants de la loi et celui des gangsters – avec un sens de la nuance humaine assez stupéfiant. Une manière de regarder l’institution policière qui n’oublie pourtant jamais de dresser un constat politique sans appel, centré sur l’idée que la seule violence a priori légitime se transforme souvent en violence d’état absolument incontrôlée.
Simon et Pelecanos, ainsi que Reinaldo Marcus Green, le réalisateur, parviennent à rendre sa complexité à ce réel fuyant et dur, sans jamais chercher d’excuse à l’incapacité fondamentale des autorités à traiter le trafic de drogue et la violence endémique des quartiers les plus pauvres des métropoles. Longtemps après l’arrêt de The Wire, on constate que peu de choses ont changé, si ce n’est la visibilité des violences policières désormais filmées et donc potentiellement publiques. C’est beaucoup et peu à la fois. Le monde a toujours besoin de David Simon et de George Pelecanos. La mauvaise nouvelle, c’est que We Own This City ne dure que six épisodes, alors qu’on a envie de s’y installer pour plusieurs années. Ainsi vont les séries aujourd’hui dans un monde plateformé : on ne donne aux créateur·ices fragiles ou exigeant·e·s qu’une fenêtre limitée pour s’exprimer. Profitons-en tant qu’il est encore temps.
www.seriesmania.com
We Own This City sera diffusée à partir du 26 avril sur OCS
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