Saluée par Virginie Despentes, l’autrice mexicaine Fernanda Melchor publie un second livre au titre trompeur : havre de luxe pour nanti·es, ce paradis-là est un enfer pour les pauvres.
Le titre du premier roman traduit en 2019 de la Mexicaine Fernanda Melchor, née en 1982, résidente en France et traductrice, annonçait un certain tumulte : La Saison des ouragans. Elle revient avec un nouvel avis de tempête, pourtant nommé Paradaïze. Dans La Saison des ouragans, l’incendie du récit errait dans le village mexicain de La Matosa. Paradaïze déplace son curseur régional mais son lance-flammes redouble d’intensité.
Voilà Alvarado, sur les rives du golfe du Mexique, à l’embouchure du Río Papaloapan, au sud-est du pays. Le pittoresque s’arrête là. On pourrait être dans n’importe quelle zone où l’extrême richesse de quelques-un·es profite de l’extrême misère des autres. En particulier celle de Polo, adolescent qui gagne très mal sa vie comme jardinier dans la villa d’un quartier résidentiel, le Paradaïze du titre.
Le miséreux et le “gros”
D’un seul souffle à l’haleine chargée, c’est lui qui parle, de la première phrase à la dernière, les deux ponctuées par une formule presque identique : “Voilà ce qu’il fallait leur dire” ; “Voilà ce qu’il leur dirait.” Ce n’est pas un suspense mais une suspension où Polo a juste assez de place, en 220 pages, pour hurler sa rage de misérable.
Polo ne mâche pas ses mots et les crache. Franco est “un gros porc, le regard perdu et les yeux rougis par l’alcool”
Dérivatif de sa colère, un copain de son âge, Franco, lui gosse de riches, dont Polo profite tout en lui portant une hypnotique affection. Polo ne mâche pas ses mots et les crache. Franco est “un gros porc, le regard perdu et les yeux rougis par l’alcool, les doigts tout gras à cause du fromage en poudre qu’il n’essuyait avec sa langue que lorsqu’il avait fini le paquet de chips, format familial.”
Quand “le gros” retrouve l’usage de la parole, il n’a qu’une obsession entre deux vidéos porno : se taper Madame Marián, plantureuse mère de famille riche, qui a bien des soucis entre son “merveilleux” mari et ses “adorables” enfants. Mais la voix de Polo est intérieure et à chaque ligne crie d’autant plus fort qu’elle est aphone. Même à la maison, taudis où il dort par terre, il subit sa mère casse-couilles et sa cousine venimeuse enceinte d’un de ses nombreux amants.
Malheur vengeur
Paradaïze est un roman qui parle normalement, où on dit “bite pourrie” et pas “pénis”, “chatte gluante” et pas “orgasme féminin”. Et Polo est apparemment un gentil garçon qui encaisse toutes les humiliations, surtout celles qui viennent de presque aussi damné que lui, un intendant de la propriété de Madame Marián, macho ordinaire qui l’arnaque.
Avec un sens torrentiel du récit, Fernanda Melchor fait monter la pression jusqu’à une éruption en forme de carnage. Mais quelle que soit l’analogie avec Parasite, le film du Coréen Bong Joon-ho, cette conclusion n’est pas un dénouement, elle nous sautait à la gorge dès l’ouverture du récit : l’envie acide d’au minimum casser la gueule à tout le monde, quitte à en crever.
Radical ? Oui, et ce malheur vengeur fait du bien. Ultime détail qui exhausse le féminisme de ce roman de pétroleuse : la seule amie de Polo, à la fois effarante et désirable, est un fantôme, celui d’une sorcière dont on a détruit la maison. Viva Fernanda Melchor !
Paradaïze de Fernanda Melchor (Grasset), traduit de l’espagnol (Mexique) par Laura Alcoba, 220 p., 18 €. En librairie.