Les enfants d’une école déplacée dans un espace-temps inhospitalier tentent d’assurer leur survie. Ce manga n’a rien perdu de sa folie ni de ses questionnements profonds.
Publié au Japon en magazine entre 1972 et 1974, puis édité en volumes dans la foulée, L’École emportée est un classique shônen dont une première édition en France était parue entre 2004 et 2005. Dix-huit ans plus tard (et cinquante ans après les débuts japonais), son récit conserve toutes les qualités viscérales que lui confèrent sa forme et son thème.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
À partir d’une amorce fantastique, Kazuo Umezz compose une étrange symphonie mixant le mortifère et le désespéré – une bande d’enfants évaporé·es du présent se retrouvent dans un futur désertique et hostile. En d’autres termes, L’École emportée est un récit de survie, qui mêle habilement dans la psyché de ses lecteur·trices un double sentiment d’angoisse empathique vis-à-vis des gamin·es et d’étonnement constant face à l’inventivité perpétuelle tenant à l’horreur qui les assaille.
Les pages consacrées à ce récit dans le récit débordent d’énergie, d’invention et de folie pure
Le tome 4 comporte notamment une histoire qui pourrait exister seule, et qui, au long d’une centaine de pages (un quart de ce seul volume), interroge la question de la maternité et du lien avec les enfants absents. Contactée par son fils perdu dans le futur, la mère du personnage principal se démène pour lui faire parvenir des médicaments qu’elle doit cacher à l’intérieur d’une momie qui traversera les années intacte. Les pages consacrées à ce récit dans le récit débordent d’énergie, d’invention et de folie pure aussi. Celle qui prend la mère au fil des événements et celle qui semble aussi atteindre l’auteur.
À contre-courant de l’ordre établi
Kazuo Umezz paraît dessiner et découper ses pages comme en une transe très addictive, captant à la fois des fétiches populaires du Japon (ici, le baseball) et questionnant pleinement leur pertinence – c’est le joueur de baseball star du moment qui doit devenir la momie du futur. Ce dernier est lui-même en proie à des questionnements sur sa propre condition et l’attrait qu’il exerce sur des jeunes fans de son sport et de son statut.
Comment survivre face à ce qui vous est contraire et vous force à rentrer perpétuellement dans le rang ?
Umezz démonte les mécanismes qui construisent les interactions sociales et le fait en injectant dans ses personnages des sentiments de doute et de peur, ainsi qu’une grande énergie désespérée qui permet d’aller à contre-courant de l’ordre établi. Comment survivre face à ce qui vous est contraire et vous force à rentrer perpétuellement dans le rang ? Comment survivre, surtout, lorsque ce rang n’est pas tel que vous auriez voulu qu’il soit ?
La beauté de ce manga, c’est aussi, comme pour les grands récits japonais, de prendre le temps et d’accumuler les pages pour détailler et déconstruire, aller au plus minutieux de ce qui est raconté. La limite n’est pas le temps qui reste mais bien ce que vous en faites. Une question qui résonne aussi dans d’autres livres d’Umezz, notamment les séries Orochi ou Je suis Shingo (toutes deux parues au Lézard Noir).
L’École emportée tome 4 de Kazuo Umezz (Glénat), traduit du japonais par Anthony Prezman, 416 p., 10,75 €. Tomes 4 et 5 en librairie (tome 6 à paraître le 18 mai).
{"type":"Banniere-Basse"}