Sixième album luxuriant et magnifique de Conor Oberst, héros du rock indé américain.
Avec son côté touche-à-tout difficile à cerner, Conor Oberst a fait de Bright Eyes un nom qui évoque à la fois l’émerveillement et l’extrême fatigue, le véhicule d’un trop-plein d’idées qui s’est parfois avéré compliqué à manier. Il y a deux ans, il publiait simultanément deux albums, l’un dans une veine folk acoustique (I’m Wide Awake, It’s Morning), l’autre plus expérimental et électronique (Digital Ash in a Digital Urn), éparpillant quelque peu son capital de petit surdoué en cédant à une forme d’incontinence un brin mégalomane.
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La force et la confiance en soi ainsi emmagasinées rejaillissent aujourd’hui tout au long de Cassadaga, sixième album luxuriant dont pas mal de passages rendront moitié aveugles ceux qui s’en approcheront. Reprenant vaguement le fil d’un songwriting orchestral abandonné avec Lifted or The Story Is in the Soil’ (2002), Cassadaga s’en distingue par une approche nettement moins scolaire et appliquée des arrangements de cordes et de cuivres, qui portent désormais les chansons au lieu de simplement les crayonner à la hâte.
Le noyau dur de Bright Eyes, constitué de trois membres, est ici rejoint par une belle équipe d’instrumentistes et de choristes, parmi lesquels Gillian Welch ou M. Ward, offrant aux chansons d’Oberst la densité passionnelle qui leur faisait parfois défaut. La voix éclaircie et le timbre raffermi, celui-ci semble avoir grandi de plusieurs années d’un coup, sans perdre pour autant la suavité juvénile qui émane toujours de son écriture.
L’évasion, sur le nouvel album, est notamment symbolisée par un énergique single, Four Winds, aux élans irlandais qui rappellent Van Morrisson ou les Dexy s Midnight Runners, Oberst citant d’ailleurs Kevin Rowland parmi ses modèles, sur la même ligne que Leonard Cohen ou Neil Young. Souvent aussi, le nom des regrettés Go-Betweens vient à l’esprit en entendant les déliés distingués, la ferveur romantique de If the Brakeman Turns My Way ou la voûte céleste qui sert de protection au fragile et charmantissime Make a Plan to Love Me.
Cassadaga, qui tire son nom d’une ville de Floride abritant une communauté spirituelle fréquentée il y a quelque temps par Conor Oberst, se révèle au fil des écoutes une œuvre de bienfaisance, apaisante et tempérée, moins volontairement nébuleuse et heurtée que les précédents albums de Bright Eyes. On aurait tort pourtant d’hurler à on ne sait quelle trahison de classe en observant l’éternel adolescent enfiler les habits soyeux et mieux coupés d’un adulte accompli. Car sa musique, en donnant l’impression de céder à un certain confort, continue de bouillonner de l’intérieur avec la même intensité que brille sa carapace. Et que brillent nos yeux, éblouis par telle spectaculaire métamorphose.
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