Les éditions Monsieur Toussaint Louverture publient les six volumes de la saga datée 1983 de Michael McDowell, grand maître américain de l’horreur, proche de Stephen King.
Le roman-feuilleton a toujours été considéré en France comme une sous-production littéraire. “Œuvres d’aliénation de la raison par l’imagination” ; “avilissement moral des lecteurs” du fait d’une “démarche mercantile”, s’alarmait le baron Chapuys-Montlaville à la tribune de l’Assemblée nationale au XIXe siècle face au succès grandissant de cette “littérature populaire” que les journaux de l’époque publiaient dans leurs pages. Dumas père, Dickens, Balzac ont beau avoir écrit certains de leurs plus grands livres sous cette forme, le genre est resté entaché de ces a priori. Jusqu’à aujourd’hui, où “romans de gare” et “auteurs à succès” comme Frédéric Dard/San-Antonio restent dédaignés par les grandes maisons d’édition.
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Sans doute est-ce la raison pour laquelle un écrivain aussi important que l’Américain Michael McDowell n’avait jamais été traduit dans notre pays. Feuilletoniste déclaré, qui se réclamait de cette littérature populaire, McDowell publiait tous ses textes sous la forme du paperback, abordable par tout le monde (quelques dollars à peine par livre), contrairement aux hardbacks, très chers outre-Atlantique (vingt dollars en moyenne).
La Crue, s’ouvre sur l’inondation, en 1919, d’une ville au sud de l’Alabama. L’ambiance est aux fantômes, au surnaturel, à l’effroi.
Grâce à un petit éditeur indépendant de Bordeaux, les lecteurs et lectrices français·es peuvent enfin découvrir le chef-d’œuvre de cet auteur, la formidable saga Blackwater. C’est un pari un peu fou, une aventure éditoriale sans précédent qu’entreprend aujourd’hui Monsieur Toussaint Louverture : tous les quinze jours, du 7 avril au 17 juin, un nouvel épisode de la série paraîtra en librairie.
Le premier tome, La Crue, s’ouvre sur l’inondation, en 1919, d’une ville au sud de l’Alabama. L’ambiance est aux fantômes, au surnaturel, à l’effroi. Une littérature d’horreur dont Michael McDowell était considéré comme l’un des maîtres aux États-Unis, avec plus d’une trentaine de romans, des dizaines de scénarios et de nombreuses nouvelles.
Un immense succès commercial
Né en 1950 en Alabama, Michael McEachern McDowell disait s’inspirer de l’atmosphère gothique régnant dans le sud du pays. Fasciné par l’occulte, il avait constitué une gigantesque collection d’artefacts mortuaires : photographies de corps embaumés, cercueil d’enfant, broches, épinglettes, etc. Sa thèse de doctorat, qui lui permit d’enseigner à Harvard, portait sur le rapport que les individus entretiennent avec la mort à la fin du XIXe siècle aux États-Unis.
“J’écris pour que les gens prennent du plaisir à lire mes livres qu’ils aient envie d’ouvrir un de mes romans pour passer un bon moment”
Longtemps dédaigné par les éditeurs autant que par les studios, il se vit refuser ses six premiers romans et plusieurs scénarios avant de publier, enfin, The Amulet en 1979, l’histoire macabre d’une amulette tueuse dans une petite ville de l’Alabama. La grande saga que publie aujourd’hui Monsieur Toussaint Louverture sortit pour la première fois entre janvier et juin 1983 aux États-Unis, à raison d’un volume par mois. Et connut tout de suite un immense succès commercial.
“J’écris pour que les gens prennent du plaisir à lire mes livres, déclara McDowell, qu’ils aient envie d’ouvrir un de mes romans pour passer un bon moment, sans avoir à lutter.” Son style n’a pourtant rien de banal, qui mélange avec audace des images frappantes, un humour noir nourri par son regard acerbe sur les mœurs de ses contemporain·es et des hallucinations effrayantes, cauchemars dignes du Horla de Maupassant.
Un esprit singulier
Admirateur devenu ami de l’auteur, Stephen King fut si inspiré par Blackwater qu’elle le mena à faire paraître en épisodes sa série La Ligne verte. “S’approprier l’improbable, l’inimaginable et l’impossible, suggérait McDowell, et faire en sorte que ça semble non seulement plausible mais surtout inéluctable.” C’est ainsi qu’il crée l’effroi chez ses lecteur·trices, cette émotion si rare, fascinante parce qu’irrationnelle, qui renvoie à nos terreurs d’enfance.
Il manie pourtant aussi bien le réalisme, sait décrire dans ses moindres détails la crue d’un fleuve, événement proprement terrifiant pour ceux et celles qui la subissent, autant que les relations toxiques qui caractérisent ces grandes familles (ici, la riche famille Caskey) pétries de puritanisme et dont les coups bas, amours impossibles, trahisons dignes des Borgia constituent l’intrigue principale de ces six volumes.
Suite à la sortie de Blackwater, McDowell fut recruté par Hollywood, où il signa l’idée originale et le scénario de Beetlejuice, le film de Tim Burton (1988). Il collabora avec George Romero, Steven Spielberg, participa à l’adaptation de La Peau sur les os de Stephen King (1996). Mais son regard ne correspondait pas aux codes des scripts hollywoodiens, trop rigides. Il devint un peu fou et mourut ruiné, des suites du sida, à 49 ans, à la fin de l’année 1999.
Blackwater – L’Épique saga de la famille Caskey, t.1 “La Crue” de Michael McDowell (Monsieur Toussaint Louverture), traduit de l’anglais (États-Unis) par Yoko Lacour avec la participation d’Hélène Charrier, 256 p., 8,40 €. En librairie le 7 avril.
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