Fermée car considérée comme un foyer de radicalisation, la mosquée Al Rawda de Stains va rouvrir début septembre sous vidéosurveillance. Des mesures qui, si elles ne semblent pas déranger les fidèles, n’auraient pas d’impact en terme de sécurité.
A l’ombre des grandes barres d’immeubles, la marque de fabrique du 93, les fidèles sont nombreux à se diriger vers les mosquées de Stains (Seine-Saint-Denis) pour la prière du vendredi. « Pas trop le temps de vous parler », s’excuse un homme en djellaba, en allongeant le pas pour entrer dans la mosquée dite « Bangladesh », de Stains: « Ça va commencer, il ne va plus y avoir de place. »
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Il y a encore quelques mois, il y avait trois salles de prières dans la ville, aujourd’hui il n’y en a plus que deux. L’une fait face au Mac Donald de Stains, à la limite de Saint-Denis au pied des tours. L’autre, la « Bangladesh » est parallèle au Carrefour de la ville, dans une galerie marchande.
La dernière, la mosquée Al-Rawda, dans une rue adjacente à la cité du Moulin Neuf, a été fermée dans le cadre de l’état d’urgence à la fin de l’année 2016. Mais, fait inédit, elle a été autorisé à réouvrir par un arrêté en date du 10 mai 2017. Elle devrait réouvrir début septembre, une fois les travaux de mise aux normes terminés.
Les voix de l’Etat Islamique
Sur la trentaine de mosquées françaises fermées par décision administrative dans le cadre de l’état d’urgence, c’est la seule a avoir obtenu une telle autorisation. Pourquoi elle ? « Parce que nous sommes dans une logique de dialogue, pas d’opposition, explique Me Vincent Brengarth du cabinet Bourdon, conseil de l’association Al Rawda qui gère la mosquée. Les faits reprochés n’étaient pas attribuables au président de l’association. »
Pourtant, les faits reprochés étaient lourds. La mosquée était considérée par les services de renseignements comme « un lieu de polarisation » de la mouvance islamiste radicale. Des figures de l’organisation Etat Islamique (EI) avaient été repérées dans les lieux, pour certains juste avant de rejoindre la Syrie. Parmi les djihadistes passés par la mosquée Al-Rawda, on retrouve les voix françaises de l’EI, Fabien Clain et Adrien Guihal, qui avaient respectivement revendiqué les attentats du 13 novembre et ceux de Magnanville et Nice. Egalement dans le collimateur des autorités, l’imam d’alors, Hatim Roinzo, connu pour ses prêches sulfureuses et radicales.
Pour M’hammed Henniche, le secrétaire général de l’Union des Associations Musulmanes du 93 (UAM 93), « cette mosquée a été fréquentée par des gens extrêmement dangereux. Nous ne pouvons dire ‘ça ne nous regarde pas' ». A l’instar de Me Brengarth, celui qui a largement oeuvré pour obtenir cette réouverture pense que la mosquée a reçu l’autorisation car ils n’ont pas démérité, contrairement à la trentaine d’autres qui a été « fatalistes« .
Equipe de vigilance et vidéoprotection
Outre cette pugnacité mise en avant, ce sont surtout les conditions drastiques dictées par la préfecture qui ont permis la réouverture prochaine. Inédit là aussi, la mosquée peut rouvrir mais « sous conditions« . Les mises aux normes incendies certes, mais pas uniquement. Selon la préfecture, le lieu de culte doit, en plus de recruter un imam modéré, constituer « une équipe de vigilance, chargée d’alerter sur les comportements et les expressions contraires aux valeurs de la République« .
Elle est également sommée de « mettre en place un système de vidéoprotection afin de contrôler l’utilisation des lieux (…) et prévenir ainsi la constitution de groupes incontrôlés ». Si Me Brengarth admet que c’est « un peu regrettable », il se félicite d’une « solution de compromis dans le cadre de l’état d’urgence« . Il tranche. « C’était soit ça, soit la fermeture définitive. » Or, pour l’avocat, « dès lors qu’il y a fermeture, c’est qu’il y a surveillance. On ne fait que légaliser une situation de fait. »
L’équipe de vigilance sera composée de « fidèles de confiance« , selon les termes de Salih Attia, et travaillera « en coordination avec la préfecture lors de réunions régulières ». Les caméras, elles, seront placées à la fois à l’extérieur et à l’intérieur de la salle de prière.
« Si on n’a rien à se reprocher, où est le problème ? »
Devant la mosquée « Bangladesh », où les fidèles de la mosquée Al Rawda, vont prier en attendant la réouverture, la grande majorité ne voit pas d’inconvénients à être filmés pendant qu’ils se recueillent. Youssef dont la longue barbe fait ressortir un sourire éclatant ne trouve rien à redire. « Si on n’a rien à se reprocher, où est le problème ? Les lieux de cultes sont constamment attaqués aujourd’hui, ça ne me dérange pas, au contraire. »
Plus loin, un groupe de jeunes discutent de leurs partiels réussis. Pour eux non plus, « aucun souci« . L’un d’entre eux s’interroge. « La Mecque aussi est filmée non ? C’est pareil pour Stains, éclate-t-il de rire. Franchement, ça ne me dérange pas. J’irai sans problème. »
Seul Majid, cadre dans une entreprise de télécom, émet quelques doutes. « En terme de laïcité, si on filme les fidèles, ça pose un peu problème, estime-t-il. La religion doit être privée, c’est donc un peu contradictoire de nous surveiller. » Mais au fond, « si c’est utile et que ça permet d’éviter la radicalisation, pourquoi pas ? »
« Ces caméras peuvent être un carburant pour la radicalisation »
Pourtant, c’est ici que le bât blesse. M’hammed Henniche, de l’UAM 93, comme Me Vincent Brengarth se félicitent de ces mesures car elles permettront selon eux de « prévenir les dérives » passées. Une thèse clairement contredite par les spécialistes de la question.
« C’est de la communication, tranche Elyamine Settoul, maître de conférence au Cnam. Cela ne changera rien. » Pour ce spécialiste de la radicalisation et des quartiers populaires, ces dispositions sont loin d’apporter des réponses pertinentes.
« Le tout technologique n’a jamais rien réglé, assure le chercheur. On a vu le résultat à Nice, l’une des villes avec le plus de vidéoprotection. » Selon lui, de telles dispositions font fausse route. « Les mosquées ne sont plus des lieux de radicalisations. Les terroristes, qu’ils soient de Charlie Hebdo ou du Bataclan n’étaient pas dans l’orthopraxie. Il n’y a pas d’intérêt de mettre des caméras. On se radicalise plus dans des salles d’escalier ou des salles de musculations. »
Elyamine Settoul va même plus loin. « Ces caméras peuvent être un carburant pour la radicalisation, analyse-t-il. Cela peut avoir un effet contraire : on alimente le caractère manichéen, le ‘eux contre nous’. » Les mosquées seraient des endroits surveillés par la République, donc soumis à celle-ci, qu’il faut éviter.
D’après lui, il n’y aurait là « qu’un aspect psychologique« . Le chercheur s’interroge plus largement sur la justification de cette ouverture. « Pourquoi mettre des caméras s’il n’y a pas de risque ? Soit on réouvre parce qu’il n’y a aucun risque, soit on les ferme. »
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