Le licenciement de Stéphane Lhomme, porte-parole du mouvement depuis huit ans, a mis en lumière des fractures profondes et des rancunes tenaces au sein du collectif.
Luttes de pouvoir, renvoi de Stéphane Lhomme, soupçons de petits arrangements avec les frais de Xavier Renou, procès contre d’anciens administrateurs : le réseau Sortir du nucléaire, regroupant 880 associations de défense de l’environnement, s’est transformé en panier de crabe depuis l’automne.
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Les coups de gueule de Stéphane Lhomme auront fini par le flinguer. Le porte-parole de Sortir du nucléaire a reçu le 7 avril une lettre de licenciement pour faute grave : quatre pages lui reprochant de n’en faire qu’à sa tête, de multiplier insultes et menaces à l’égard de ses camarades.
Depuis huit ans, la « figure médiatique » de Sortir du nucléaire incarnait le mouvement. Pour avoir dévoilé en 2003 un document classé secret-défense, montrant que l’EPR ne résisterait pas à l’attaque d’un avion de ligne, il a été placé deux fois en garde à vue par la DST qui cherchait l’origine de la fuite. Et aurait été surveillé par une compagnie privée pour le compte d’EDF. Ces faits d’armes ont forgé sa légende parmi ses soutiens et cassé les pieds de ses détracteurs, qui le trouvent trop radical.
Ces trois dernières années, les affrontements se sont multipliés entre le Bordelais et les salariés du siège, à Lyon, qui ont même mené une grève pour obtenir son licenciement. « Incontrôlable » selon le directeur de Sortir du nucléaire, Philippe Brousse, le « comportement inqualifiable » de Stéphane Lhomme lui a déjà valu plusieurs avertissements.
En janvier, le directeur proposait déjà le licenciement du porte-parole. Une option alors rejetée par les bénévoles qui siègent au conseil d’administration, par cinq voix contre quatre. De l’avis des votants de l’époque, Stéphane Lhomme « a son franc-parler », une certaine « vigueur » et a commis « quelques excès de langage » mais « ne passe jamais les bornes de l’insulte » et « a rendu d’énormes services au réseau ».
Qu’à cela ne tienne. Philippe Brousse fait voter une motion en assemblée générale en février : l’ensemble du CA est révoqué.
Opposition politique ou querelle d’egos ?
Les administrateurs débarqués n’en reviennent toujours pas. « Nous avions le couteau sous la gorge », se souvient Chantal Cuisnier. « Quand nous avons refusé le licenciement de Stéphane, il y avait une pression énorme, la grève, puis l’éviction. Tout ça n’est pas dans notre état d’esprit », confirme Véronique Marchandier. Alain Rivat se rappelle avoir été, lors de l’assemblée générale, « empêché d’aller au micro par trois personnes qui s’interposent. Je ne pensais pas que cela pouvait arriver dans une organisation comme la nôtre. »
Pour eux, rien ne justifie le licenciement de Stéphane Lhomme. « On l’a envoyé en première ligne et maintenant on le lâche ? » s’étonne Stéphane Maimbourg. « A ma connaissance, il n’est jamais passé outre l’avis du conseil d’administration, c’est ce qu’on lui demandait », renchérit Didier Anger.
Ils affirment que le fond du problème est politique. Partisan d’une priorité absolue des questions nucléaires sur toute autre préoccupation, Stéphane Lhomme a refusé de participer au Grenelle de l’environnement, qui ne les abordait pas. Il a également convaincu les militants de ne pas signer l’Ultimatum climatique, faute de position claire sur le nucléaire. Selon lui, Philippe Brousse « veut faire du réseau une organisation « raisonnable », type WWF et dilue le message » alors que « l’immense majorité des sympathisants n’est pas sur cette ligne ».
Sortir du nucléaire est aujourd’hui confronté à un arbitrage douloureux pour beaucoup d’associations écolos. « Auparavant, notre mot d’ordre était : ni réchauffement, ni nucléaire », regrette Didier Anger. L’organisation a choisi de développer son réseau en intégrant des groupes qui ne présentent plus la sortie du nucléaire comme objectif principal.
Daniel Roussée, membre actuel du CA et trésorier, réfute ces accusations. « Ce n’est pas un problème politique. Stéphane Lhomme ne sait pas travailler en équipe. Dès que quelque chose ne vas pas dans son sens, il envoie vingt mails à la limite de l’insulte. »
Plusieurs ex-administrateurs voient l’assemblée générale de février comme un « putsch des salariés contre les militants ». Les salariés : une douzaine de personnes « compétentes » mais qui « sont en train de couper la branche sur laquelle ils sont assis », selon Didier Anger. « Cette équipe a eu de plus en plus de mal à supporter le poids des bénévoles », estime Pierre Péguin. « Ils se sont laissé aller à penser qu’on était de trop. »
Le retour d’un Désobéissant
Autre point qui provoque l’agacement sinon la colère des ex-administrateurs et la satisfaction des nouveaux : le retour de Xavier Renou. Le leader du collectif Les Désobéissants était administrateur de Sortir du nucléaire jusque début 2009. Sommé de choisir entre ses deux casquettes, il avait préféré quitter le CA.
Il devrait finalement être salarié pendant un mois, en mai prochain, pour une action sur le nucléaire militaire. Outre cette mission temporaire, « Xavier Renou est de nouveau très actif dans les listes de discussion », selon des militants inquiets, qui voient en lui « un aventurier, un mercenaire qui veut être médiatisé à tout prix ».
Selon nos informations, des administrateurs envisageaient l’an dernier de déposer une plainte contre lui pour abus de confiance. Ils lui reprochaient le remboursement par Sortir du nucléaire de frais « qui n’avaient rien à voir avec le réseau », engagés pour des actions des Désobéissants, selon un ancien responsable qui parle de « plusieurs milliers d’euros ».
Le trésorier Daniel Roussée, lui, parle de « quelques centaines d’euros » seulement. Il confesse une petite manœuvre pour évincer Xavier Renou. « On n’a pas été très gentils », raconte-t-il aujourd’hui. « On l’a menacé d’une plainte, mais c’était du bluff. Il a un petit peu exagéré mais c’était vraiment l’affaire de montants ridicules ». Un mail de l’époque, signé du directeur Philippe Brousse, exhortait Xavier Renou à « faire preuve de sagesse », lui proposant « une sortie honorable » en échange d’un accord effaçant l’ardoise.
« Il n’est parti que devant la menace de plainte », explique un ancien administrateur. « On n’allait pas être mesquins, les sommes n’étaient pas énormes et c’était quand même de l’action militante », conclut un autre. Le trésorier reconnaît avoir signé un papier lors du départ de Xavier Renou, « garantissant qu’il n’y aurait pas de poursuites ».
Les comptes de l’association révèlent effectivement des frais remboursés à Xavier Renou, en moyenne 600 euros par mois en 2007 et 2008. Un montant qui « étonne » l’intéressé même en additionnant ses frais d’administrateur, un dédommagement pour les formations qu’il assurait et l’aide du réseau pour quelques événements des Désobéissants.
« Je ne voulais pas être salarié mais j’ai accepté de m’occuper de la formation à l’action non conventionnelle pour le réseau », explique Xavier Renou. « On a décidé de se débrouiller pour que mes frais soient remboursés à hauteur d’un demi-SMIC environ. Là où je me suis fait avoir, c’est que cette décision n’est pas très légale et qu’on n’a pas dressé de procès-verbal. Pendant un an tout s’est bien passé, on ne me reprochait rien, puis quand nos relations se sont détériorées, ils ont fait semblant de ne pas se souvenir de l’accord. »
Egalement problématique, le non-remboursement de sa part d’une avance de 5000 euros pour l’organisation du festival Peace and Landes. « Le CA a voté une décision qui m’en faisait cadeau, comme le festival n’avait pas été bénéficiaire », explique Xavier Renou. Il affirme que des jalousies internes et des désaccords de méthode auraient motivé son éviction. « Ils ont d’abord essayé de me faire passer pour un extrémiste, ça n’a pas marché. Il ne restait plus que l’antisémitisme, la pédophilie ou le vol… »
Le réseau se délite
Inquiets sur l’avenir de l’organisation et en désaccord avec le licenciement de Stéphane Lhomme, plusieurs ex-administrateurs ont diffusé un communiqué commun intitulé « Vous avez le droit de savoir ». Pour avoir utilisé les listes du réseau et l’identité du directeur sans son accord, ils sont sous le coup d’une plainte déposée à Lyon par Philippe Brousse. « La nouvelle majorité ne donnait que son point de vue », se défend Didier Anger, signataire de la lettre. « Avec cette plainte, on ne peut plus éviter la scission », estime Frédéric Boutet. « Les relations ne sont plus du tout amicales ».
Didier Anger et son association, le Crilan (Comité de Réflexion, d’Information et de Lutte Anti-Nucléaire), ont décidé de surseoir au paiement de leur cotisation annuelle, en attendant des jours meilleurs.
« Aujourd’hui, on est en train de refaire des coordinations locales » en se passant du pôle salariés de Lyon, explique Alain Rivat, qui fait le parallèle avec la grave crise traversée par Attac. « Ce ne serait pas la première fois qu’une organisation survit à une vague de départs », rappelle Pierre Péguin. « On voudrait tout de même essayer de rétablir des pratiques plus démocratique au sein du réseau », nuance Chantal Cuisnier. Un réseau qui connaît quelques difficultés financières, et vient de lancer un appel au don de 100000 euros.
Photo : Flickr / pasukaru76
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