Face aux difficultés de la société française à promouvoir ses principes républicains, la philosophe Cécile Laborde invite à penser un nouveau modèle, concentré sur la lutte contre la domination.
En échouant à résoudre les controverses qui grippent ses propres fondations, le modèle républicain français patine. Du voile à l’école jusqu’à la burqa dans l’espace public, de la représentation des minorités à la reconnaissance des identités culturelles, les débats crispés sur des questions clés du cadre républicain forment l’indice d’un épuisement d’un modèle désormais incapable d’associer à son projet intégrateur la question de la réduction des inégalités et des humiliations sociales.
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Pour Cécile Laborde, professeur de théorie politique à l’université de Londres, “le message républicain est aujourd’hui brouillé”. Ce brouillage tient à ce que les républicains contemporains peinent à concrétiser les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité qu’ils revendiquent.
L’auteur prend ce brouillage comme objet de réflexion, en mettant à plat ses modes de constitution et en révélant les failles d’un modèle usé. A partir des querelles sur la fonction de l’Etat laïc, elle identifie deux traditions opposées du républicanisme français. D’un côté, un républicanisme “classique” affiche une position ferme sur les principes laïcs (le foulard, symbole de la domination religieuse…) ; de l’autre, un républicanisme “tolérant” refuse l’interdiction des signes religieux au nom d’une conception ouverte de la laïcité, du rejet des discriminations…
Au-delà de cet affrontement aveugle, Laborde dessine un troisième modèle républicain, baptisé “républicanisme critique”, dont la vertu est de transcender les clivages à partir d’un déplacement stratégique : lutter contre la domination des citoyens, seul objectif politique qui vaille.
En empruntant sa notion de “non-domination” à la philosophie anglo-saxonne (Philip Pettit…), Cécile Laborde dépasse ainsi les termes du débat entre laïcs stricts et laïcs tolérants. Et ouvre une voie pour une “refondation de l’idéal de citoyenneté républicain”.
Pour elle, “le républicanisme classique souffre d’un déficit sociologique, et le républicanisme tolérant souffre d’un déficit normatif”. Il manque en effet au républicanisme classique une théorie sociale qui prenne à bras-le-corps les imperfections de la république réelle ; quant au républicanisme tolérant, il “pèche par excès de pragmatisme et peine à articuler la critique sociale à l’application des principes républicains normatifs”.
Le républicanisme critique, lui, tolère le foulard à l’école, comme les “tolérants”, mais n’abandonne pas pour autant la lutte contre la domination, et suit l’approche “laïciste” dans son refus d’abandonner la réflexion sur les conditions de l’autonomie et de la liberté des femmes.
L’auteur élargit son analyse à la question des politiques de représentation de la diversité qui, selon elle, masquent les causes réelles du déficit d’intégration des minorités. C’est moins le manque de reconnaissance que l’élitisme social, la discrimination ethnique et l’assignation identitaire qu’il faut combattre.
Au nom de cet impératif de réduction des effets de domination imposés par un pouvoir arbitraire, Cécile Laborde inscrit la célèbre exhortation du marquis de Sade (“Français, encore un effort…”) au coeur de notre époque.
Si la liberté, l’égalité et la fraternité définissent notre contrat social, une réactivation urgente de leurs fondements s’impose : la philosophie de la citoyenneté comme non-domination en trace une voie décisive.
Français, encore un effort pour être républicains ! (Seuil), 153 pages, 13€
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