Pionnière de l’autofiction transgressive dans les années 1980-1990, la dessinatrice québécoise est la 3e autrice à être honorée par le festival pour l’ensemble de sa carrière.
“J’étouffais. Je me sentais à l’étroit sur une page de bande dessinée. […] J’étais fatiguée d’être entourée rien que d’hommes. Les hommes sont des nerds !” Dans l’entretien qui sert de postface à l’anthologie Maxiplotte parue en 2021, la Canadienne Julie Doucet explique pourquoi, aux alentours de l’an 2000, elle a pris ses distances avec la bande dessinée. Mais celle-ci ne l’a pas oubliée.
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Plus de deux décennies après sa retraite, alors que figuraient dans la short-list finale ses benjamines Pénélope Bagieu et Catherine Meurisse, c’est Julie Doucet, 56 ans, qui a été désignée grand prix 2022 du Festival d’Angoulême par ses pair·es – rappelons que le collège électoral est constitué uniquement d’auteurs et d’autrices.
Si sa carrière, de ses premières tentatives à 17 ans jusqu’au moment où elle a arrêté la BD, a duré moins de deux décennies, ce qu’elle a apporté – autobiographie punk et planches transgressives – a marqué à jamais l’histoire du medium. Ce que reflètent ses influences, entre dessinatrices françaises (Claire Bretécher, Chantal Montellier, Nicole Claveloux) et comix underground (Robert Crumb) sans oublier F’Murr, le créateur du monde absurde du Génie des Alpages, dont les histoires lui parlaient spécialement parce qu’y figurait un personnage féminin.
Une autrice indépendante et radicale
Sa trajectoire dans le monde de la BD reste un exemple d’indépendance. Ses premières histoires, elle les publie elle-même à partir de la fin des années 1980 dans un fanzine au titre provocateur, Dirty Plotte (“plotte” désigne en argot québecois le sexe féminin). Sans penser à qui peut tomber sur ses pages, elle couche sur papier ses fantasmes et ses frustrations, raconte ses rêves délirants et symboliques et aborde des sujets étrangers à la BD classique comme les menstruations et le harcèlement. Elle utilise ainsi son fanzine comme un journal intime dans lequel elle se jette toute entière et sans garde-fou ni tabou.
Il suffit d’ouvrir à n’importe quel endroit le pavé Maxiplotte (qui réunit plusieurs recueils déjà parus à L’Association, comme Ciboire de criss !, Changements d’adresses et Monkey and the Living Dead), pour comprendre combien sa prise de parole reste un geste artistique radical et libre dont le temps n’a pas atténué l’urgence.
“Jamais je n’aurais cru qu’autant de personnes pourraient lire ces bandes dessinées-là !”, commentera-t-elle bien plus tard, toujours surprise par l’accueil réservé à Dirty Plotte par le monde de la BD indépendante. Après une coupure de sept années, Julie Doucet s’est remise à dessiner après l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo. Elle a même publié une nouvelle BD autobiographique fin 2021, Time Zone J (pas encore traduite en français).
Si Doucet est seulement la 3e autrice à recevoir le Grand Prix d’Angoulême après Florence Cestac en 2000 et Rumiko Takahashi en 2019 – Bretécher reçut elle en 1982 le Prix du 10e anniversaire –, nul doute qu’elle se sentira plus à l’aise dans le paysage actuel où on ne compte plus les dessinatrices sur les doigts d’une main.
Maxiplotte de Julie Doucet (L’Association), 400 p., 35 €, traduction Julie Doucet, JC Menu et Laura Park.
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