Dans un ouvrage rigoureux et complet intitulé “Génération infertile?”, les journalistes Estelle Dautry, Pauline Pellisier et Victor Point s’attaquent au tabou de l’infertilité et à la façon dont les millennials font face à de plus en plus de difficultés pour faire un enfant.
Si Estelle Dautry, Pauline Pellissier et Victor Point se retrouvent à signer ensemble ce livre intitulé Génération infertile? De la détresse au business, enquête sur un tabou, ce n’est pas un hasard. Personnellement concerné·es tou·tes les trois par la procréation médicalement assistée (PMA), ces journalistes indépendant·es ont décidé d’enquêter “pour savoir comment notre génération faisait face à l’infertilité pour des raisons médicales”. Leur ambition: “Rendre vivante et incarnée une enquête rigoureuse sur l’infertilité” et faire tomber le tabou qui l’entoure encore aujourd’hui.
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L’objectif est atteint avec cet ouvrage qui aborde les différentes causes de l’infertilité, donne la parole à celles et ceux qui sont concerné·es -en France, un couple sur 6-, pointe les inégalités d’accès à la PMA, qu’elles soient financières ou géographiques, et se penche aussi sur l’aspect psychologique de la PMA et le business qu’elle génère. Nous avons interviewé l’une des co-autrices de ce livre, Estelle Dautry, 35 ans, qui après deux fausses couches et une grossesse extra-utérine, s’est retrouvée en parcours PMA en raison d’une endométriose et du syndrome des ovaires polykystiques.
Quel est l’objectif de votre ouvrage?
Estelle Dautry – Sur le thème de l’infertilité, nous avons constaté qu’il y avait soit des livres-témoignages écrits à la première personne soit des ouvrages médicaux très pointus. De notre côté, nous voulions écrire un livre grand public regroupant ressources scientifiques et témoignages. Il est destiné aux personnes concernées par l’infertilité mais aussi à leur entourage car nous avons pu remarquer, dans nos parcours PMA respectifs, que nos proches avaient parfois du mal à comprendre ce que l’on vivait. Et puis, on avait aussi envie de trouver les réponses aux questions que l’on se posait: L’infertilité augmente-t-elle? Est-elle générationnelle?
Peux-tu nous rappeler ce que l’on entend par infertilité?
Tout d’abord, l’infertilité n’est pas à confondre avec la stérilité. La stérilité signifie l’impossibilité d’avoir des enfants car il n’y a pas de spermatozoïdes ou pas d’ovulation. L’infertilité, c’est la difficulté à avoir des enfants. L’OMS parle d’infertilité en cas d’absence de grossesse malgré des rapports sexuels non protégés pendant une période d’au moins 12 mois.
Combien de personnes sont-elles concernées en France?
Le professeur Samir Hamamah, chef de service du département de biologie de la reproduction au CHU de Montpellier, a été chargé par le gouvernement de rendre un rapport sur l’infertilité et 3,3 millions de personnes seraient concernées en France, auxquelles il faut naturellement ajouter leurs conjoint·es. Un couple sur six n’a pas d’enfant après un an d’essais. L’INED parle même d’un couple sur quatre si l’on prend également en compte celles et ceux qui ont des rapports non protégés mais ne cherchent pas à faire d’enfant ou ne s’inquiètent pas de ne pas en avoir.
Quels sont les principales causes de l’infertilité?
La première cause d’infertilité en France est l’âge. Ensuite, du côté des femmes, il y a principalement l’endométriose -qui touche 1 femme sur 10-, le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) -qui touche également 1 femme sur 10- et du côté des hommes, toutes les pathologies qui affectent les spermatozoïdes. Puis, il y aussi les maladies sexuellement transmissibles (MST) que les gens ont pu contracter plusieurs années avant, les perturbateurs endocriniens -contenus dans l’alimentation, les pesticides, les cosmétiques, les peintures intérieures, etc.- et bien évidemment le tabac, l’alcool et les médicaments qui sont des facteurs d’infertilité beaucoup plus connus du grand public.
L’environnement et les perturbateurs endocriniens sont-ils responsables de la baisse de qualité de nos gamètes?
Oui, et c’est plus facile à mesurer chez les hommes: depuis une cinquantaine d’années, le nombre de spermatozoïdes est en baisse. Chez les femmes, c’est plus difficile à apprécier mais on trouve davantage d’endométriose et de SOPK, c’est certes lié à l’amélioration des diagnostics mais aussi à une augmentation des cas. C’est paradoxal, nous vivons plus vieux et dans de meilleures conditions que dans les années 50 mais la fertilité est en baisse.
En cas d’infertilité, ce sont souvent les femmes qui subissent les examens médicaux avant que la médecine ne s’intéresse à son partenaire, pourquoi l’infertilité masculine reste-t-elle encore un impensé?
Ça reste un biais de genre assez marqué dans la médecine. Comme ce sont les femmes qui portent les enfants, c’est à elles qu’on s’intéresse en premier. On a reçu des témoignages de femmes entrées dans des parcours PMA sans que leur partenaire n’ait réalisé un seul spermogramme. Pourtant, on sait que dans un couple hétérosexuel, l’infertilité vient de l’homme dans 30% des cas.
Et contrairement à ce qu’on a tendance à penser, les hommes aussi ont une horloge biologique…
Oui, elle intervient un peu plus tard que pour les femmes : chez ces dernières, une première baisse de fertilité intervient autour de 35 ans puis ça chute encore un peu plus à 38 ans. Chez les hommes, c’est plutôt vers 40, 45 ans que la baisse de fertilité a lieu.
En matière de PMA, beaucoup de culpabilité repose sur l’épaule des femmes, notamment ce que l’on appelle l’infertilité psychologique, peux-tu nous en dire davantage sur ce sujet?
Oui, c’est la fameuse phrase qui n’a jamais aidé aucune femme: “Arrête d’y penser, ça va marcher!” Ce n’est pas audible lorsqu’on est dans l’attente d’une grossesse ou dans un parcours PMA, et aucune étude n’a jamais prouvé que le stress que ces situations entraînent réduisait les chances de tomber enceinte. Les femmes subissent tous les effets secondaires des traitements, vivent au rythme des injections d’hormones et des rendez-vous médicaux donc il faut arrêter de les culpabiliser et de leur dire qu’elles auraient dû faire ci ou ça pour avoir un enfant.
Quelles sont les conséquences d’une PMA sur la carrière et le travail des femmes?
En parcours PMA, il peut y avoir des rendez-vous médicaux toutes les 48h donc il faut pouvoir s’y rendre. La Sécurité sociale permet de se rendre à ces rendez-vous si tant est que la salariée a averti son ou sa supérieure de la raison de son absence et ce n’est pas forcément facile à faire. Donc il arrive souvent que les femmes posent des arrêts maladie, ce qui peut avoir des effets néfastes sur leur carrière.
Le tabou autour de la PMA et de l’infertilité est-il en train de doucement tomber grâce aux réseaux sociaux?
Oui, un peu, c’est en train de changer comme tout ce qui touche à l’intime à l’image de la grossesse, du post-partum, du deuil périnatal, etc. Les gens en parlent de plus en plus et dès qu’une personnalité publique comme Michelle Obama dit qu’elle a eu recours à la PMA pour avoir ses deux filles, ça ouvre des portes. C’est souvent une fois que l’enfant est né que les langues se délient, les couples commencent à dire des phrases comme “ça nous a pris un peu de temps de faire cet enfant…”
En 2045, la majorité des couples devront-ils avoir recours à la PMA?
C’est en tout cas ce qu’affirme Shanna Swan, une chercheuse américaine qui a étudié toutes les études réalisées sur la baisse de qualité des spermatozoïdes depuis 50 ans. Elle a constaté que notre santé fertile se dégrade tellement vite que d’ici 2045, la majorité des couples auront besoin de la PMA. C’est l’un des scénarios possibles.
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