À découvrir : un film mal-aimé et méconnu de Philippe de Broca et de son actrice Jeanne Moreau. L’histoire d’amour entre une quadragénaire et un jeune homme écervelé.
Imaginez Annecy dans les brumes du lac au début des années 1970. On entend une belle musique mélancolique de Georges Delerue (nous ne sommes pas dans Le Genou de Claire de Rohmer, tourné quelques années plutôt ici, mais dans un milieu bourgeois – c’est un constat, non un reproche). Une femme apparaît dans le plan, c’est Jeanne Moreau, alias Louise, la quarantaine, venue s’installer là après un divorce douloureux. Elle est institutrice. Elle rencontre un jeune Italien sans boulot, Luigi (Julian Negulesco), et lui propose de l’héberger chez elle, en “tout bien tout honneur”, comme on disait encore en 1972. Luigi est foufou, impulsif et enthousiaste. Et puis, un soir, il se glisse dans le lit de Louise et elle ne dit pas non.
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Louise n’est pas naïve. Elle sait bien que cette histoire d’amour ne durera pas, que Luigi la quittera un jour. En attendant, elle veut savourer ce qui est – peut-être – (elle ne le dit pas mais l’ombre de la mort rôde sans cesse dans ce film triste) sa dernière histoire d’amour. Nous sommes à une époque où une femme “honnête et mûre” n’est plus censée avoir des “aventures”, une vie sexuelle, quoi.
Refusant la jalousie, Louise la sage, Louise la souriante (c’est l’un des plus beaux rôles de Jeanne Moreau, en tout cas l’un de ses plus tendres) laisse Luigi mener sa vie, avoir des maîtresses, faire de la moto, lui offrir un joli chapeau avec des fleurs dessus. Mais un jour, quand il lui apprend qu’il va se marier à une étudiante américaine, Jeanne prend conscience que malgré toutes ses belles promesses, elle souffre de jalousie. Et a la maturité pour s’accepter ainsi. Assumer.
Évidemment, Chère Louise est une exception dans la carrière de Philippe de Broca, plus célèbre pour ses premières comédies sentimentales et farfelues avec Jean-Pierre Cassel, Yves Montand, Philippe Noiret et Annie Girardot, et surtout ses films d’aventures exotiques avec Jean-Paul Belmondo (L’Homme de Rio, Les Tribulations d’un Chinois en Chine, Le Magnifique). Chère Louise, sans quitter tout à fait les rives de la comédie, notamment grâce à un récit secondaire sur la vie d’une petite troupe d’opérette de province, n’a rien d’une pantalonnade, ou d’un film comique. Pas de cascade ici.
Un film qui mérite d’être vu
Très mal accueilli à Cannes où il est présenté en compétition, Chère Louise fut aussi boudé par le public. Ce n’est pas le premier échec de Philippe de Broca au cinéma. Déjà, en son temps, dans les années 1960, Le Roi de cœur, trop délirant et fantaisiste, qui racontait l’histoire d’un village abandonné par ses habitant·es pendant la Première Guerre mondiale, “occupé” soudain par les pensionnaires de l’hôpital psychiatrique du coin, avait été un bide et une blessure pour le cinéaste.
Mais Chère Louise a sans doute été mal-aimé pour des raisons qui nous semblent ridicules aujourd’hui : de raisons morales. Oui, l’histoire d’un amour libre entre un très jeune homme et une femme quadragénaire choquait encore énormément (l’affaire Gabrielle Russier, le suicide d’une enseignante qui vivait une histoire d’amour avec l’un de ses élèves, était toute proche), même si Dalida allait bientôt chanter Il venait d’avoir dix-huit ans (1973). Louise est une femme rétive, sans violence, à la morale bourgeoise. Chère Louise n’est pourtant, du point de vue de la mise en scène, que pudeur, joie, douleur et délicatesse, et évite à la fois le tragique et la vulgarité. Un beau film, dont le scénario et les dialogues sont de Jean-Loup Dabadie (alors le scénariste à la mode, travaillant aussi pour Yves Robert, Claude Sautet que François Truffaut), magnifiquement restauré pour Cannes Classics, qui mérite d’être vu et reconnu à sa juste valeur.
Jamais plus Philippe de Broca ne se risqua par la suite (il est mort en 2004) à retourner un film aussi sensible que Chère Louise. Mais tous ses films, même les plus vulgaires parfois (quand Michel Audiard devint son dialoguiste), même les plus joyeux (les Belmondo dialogués par l’inestimable Daniel Boulanger) proposent des moments – même courts – délicieux, poétiques et mélancoliques, qui font tout le charme de Chère Louise, parfaitement incarnés dans la déchirante bande originale composée par Georges Delerue.
Chère Louise de Philippe de Broca, avec Jeanne Moreau, Julian Negulesco, Didi Perego. Ressortie en salle le 16 mars 2022.
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