Loin des coups d’éclat médiatiques, des journalistes et animateurs privilégient un débat sans invectives. Evocation de quelques “chuchoteurs”…
L’air du temps acrimonieux, mêlé à la loi de l’attraction médiatique, a conduit à la starisation de Zemmour et Guillon, par-delà ce qui les oppose – à peu près tout à part l’art de faire parler d’eux.
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Le théâtre d’opérette se perpétue tous les jours dans nos postes de télé et de radio : c’est celui qui crie le plus fort qui y est. Les ambiances de café du commerce mettent sur un piédestal les professionnels du genre, dans les émissions de sport notamment (Pierre Ménès, Eugène Saccomano, experts des coups d’éclat).
Les snipers, les grandes gueules, les arrogants, les impétueux, les fielleux, ceux exaltés par leur propre personne ont le vent en poupe. De facto, on les écoute parce que leurs voix écrasent celles des autres, et si l’on en rit parfois, on les vomit tout autant. Les dispositifs télévisuels et radiophoniques invitent en eux-mêmes à les placer au cœur de l’action : le sens de l’empoigne, du show, de la provocation a toujours fait le sel des émissions, surtout de débats, pour le meilleur (feu Droit de réponse) ou le pire (On n’est pas couché…).
Pourtant, à ce genre installé de la voix qui (se la) pète fort, s’oppose un contre-modèle. A la télé comme à la radio, quelques débatteurs et journalistes circulent dans des contre-allées qui font fi des injonctions à la saturation de l’espace sonore, à la caricature du débat d’idées, au folklore de la polémique intellectuelle, au vide de la pensée tout court…
Les “chuchoteurs” préfèrent à la possession en force d’un plateau la discrétion d’une présence attentive. Ils font plus confiance aux mots et aux idées qu’à la caisse de résonance dans laquelle ils se déploient. En les écoutant ou en les regardant, les publics respirent parce qu’ils ne se sentent pas pris en otages par des slogans martelés. Trop de fureur distrait le spectateur.
Au bruit et à la fureur, nos chuchoteurs substituent le calme et le murmure ; contre la voie de la facilité, ils optent pour le chemin de la complexité. Les médias ne sont pas pour eux un déversoir, mais un miroir qui reflète la vibration d’une pensée. Les chuchoteurs mettent en pratique un corpus de règles que les médias réprouvent généralement : poser sa voix – faite de tremblements habités –, éviter d’éclater de rire toutes les dix secondes, ne pas provoquer son interlocuteur, ne pas applaudir ou crier, accepter les silences, accueillir les hésitations, ne pas manipuler la discussion…
La radio est le média le plus perméable à ces ambiances ouatées, à ces temps de parole étendus, à ces climats sonores caressants. FIP ou Nova savent les créer depuis toujours. France Culture mise aussi sur cet effet de durée et d’élégance : ses animateurs portent l’héritage d’une station qui a toujours privilégié la volonté de comprendre aux mises en scène artificielles de controverses quelconques.
Le murmure et la réflexion y règnent sans partage. Et même lorsque Julie Clarini (Du grain à moudre), Laurent Goumarre (Le Rendez-vous), Arnaud Laporte (Tout arrive !) et Marc Voinchet (Les Matins), élèvent la voix, c’est pour la bonne cause : faire avancer le débat d’idées sans sacrifier sa haute tenue.
Sur France Inter aussi on convoque la parole sur un mode pondéré, associée à la vigueur de l’esprit. Avec Esprit critique, Vincent Josse et son équipe de chroniqueurs incarnent ce modèle des chuchoteurs que l’on entend mieux que le premier bateleur venu, tout simplement parce que “ça nous parle”. Poser tranquillement sa voix et défendre son point de vue suffisent, comme Alain Veinstein l’a magistralement démontré sur Culture avec Du jour au lendemain.
A la télé, si l’exercice reste plus délicat, quelques-uns s’y essaient. De Frédéric Taddeï avec Ce soir (ou jamais !), modèle d’émission de débats polie mais animée, à Samuel Etienne qui, avec 7 à voir, dépouille la politique de son show habituel, des animateurs au cœur de la machine dominante consacrent cet art de l’entretien sans agitation superflue, sans effets de manche inutile.
Le soir, très tard, de Philippe Lefait (Des mots de minuit) ou Rebecca Manzoni (Metropolis), sans oublier la voix sans visage de Die Nacht sur Arte, le téléspectateur croise des gens de télé étrangement apaisés. La somnolence à laquelle ils nous invitent parfois a le charme d’une attention flottante et d’un rêve éveillé. Ils nous reposent des bêtes qui hurlent.
Photo : Rebecca Manzoni, animatrice de Metropolis
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