Chaque mois, retrouvez dans “Les Inrockuptibles” le meilleur des expositions à voir en France.
Zones de contact
On connaissait l’Autrichien Erwin Wurm avant tout comme sculpteur. Sculpteur au sens large, explorant le temps, le mouvement et le corps, avec un absurde doucement loufoque. L’entrée dans son œuvre, ce pourrait ainsi être ses One Minute Sculptures [Sculptures d’une minute], imaginées à la fin des années 1990 : un protocole de sculptures éphémères, réalisées par l’artiste ou alors laissées à l’exécution des visiteur·euses.
Il s’agit alors d’utiliser tout matériau disponible, un objet quotidien, un élément architectural, pour tenter l’expérience de la gravité – crayon planté dans un orifice, chaise endossée comme une veste, tasses tenues par le bout des pieds. Son travail photographique fut récemment exposé à la MEP, le protocole en question compris.
Ce printemps, la galerie Thaddaeus Ropac propose dans son espace du Marais un panorama d’œuvres récentes. Des sculptures rose chair à l’élévation flaccide, mais aussi une nouvelle série inédite de peintures, déclinant un panorama sensoriel au sens propre : le toucher, la peau et, plus largement, la membrane entre intérieur et extérieur, thèmes centraux à sa pratique, lorgnent ici vers un réapprentissage des interactions humain.es.
Erwin Wurm. Skins, jusqu’au 23 avril à la galerie Thaddaeus Ropac à Paris (Marais).
Filiations et sécessions
La fresque que consacre l’Institut du monde arabe aux artistes algérien·nes ainsi qu’à celles et ceux issu·es de sa diaspora rassemble près de 600 œuvres et réunit près de trois générations. Comme cœur électif, on y trouve le peintre Abdallah Benanteur (1931-2017), né en Algérie et mort en France qui, célébré en tant qu’artiste des deux côtés de la Méditerranée, deviendra également enseignant aux Beaux-Arts de Paris et aux Arts Décoratifs à partir des années 1970.
Par son influence, celle de son œuvre et de ses enseignements, il fera école, celle d’une peinture moderne, lorgnant vers l’abstraction, ouverte à la poésie d’avant-garde, mais dont l’“esprit rôde[ra] en permanence parmi les [s]iens”. Autour de lui et de la collection des donateurs Claude et France Lemand, s’agrègent les artistes de l’exposition jusqu’aux contemporains, à l’instar d’Halida Boughriet ou d’El Meya.
Sans autre parti prix que l’ancrage meurtri à une même terre, Algérie mon amour est une célébration plus qu’une problématisation, venant néanmoins pointer par la grande part de découvertes la méconnaissance qui plane encore sur ce qu’il ne convient pas d’appeler une scène, mais davantage un horizon habité ou rêvé.
Algérie mon amour. Artistes de la fraternité algérienne 1953-2021, du 18 mars au 31 juillet à l’Institut du monde arabe à Paris.
Garder le fil
Susan Cianciolo aime à se présenter comme une “designer qui fait de l’art”. La New-Yorkaise, née en 1969, est aujourd’hui considérée comme l’une des premières, au mitan des années 1990, à avoir présenté des collections à partir de textiles et de vêtements recyclés.
Certes, la période y fut propice, et la spécificité de cette élève du mouvement Fluxus, prônant la réconciliation entre l’art et la vie dans les années 1970, se situerait peut-être plus précisément dans l’approche conceptuelle qu’elle conservera dans toutes ses entreprises, de l’édition à la restauration.
Très tôt, elle fera fi des contextes de présentation ou les intégrera à part entière à son art total. Du MoMA PS1 à White Columns, du Swiss Institute au Whitney Museum, New York continuera de constituer son épicentre : l’occasion est d’autant plus rare de la découvrir à Pantin, chez The Community, où le project-space transdisciplinaire, qui mène avec elle un dialogue au long cours, l’accueille et l’expose pour son premier solo en France depuis deux décennies.
Susan Cianciolo. RUN 14 FIELD of existence, jusqu’au 10 avril à The Community Centre, à Pantin.
Marges, mythes et Minotaure
Georges Tony Stoll est l’auteur, depuis les années 1990, d’une œuvre photographique montrant le corps exultant une passion primale, primordiale, parfois presque christique par la dialectique tenue sur le fil entre les extrêmes de l’existence.
Le Nietzschéen en Adidas, formé aux Beaux-Arts de Marseille, faisait déjà transparaître dans la partie la plus célébrée d’une œuvre multiple son érudition picturale et son besoin d’absolu. Au fil de petits paysages marins en pigments et en laine, vibrant d’un lyrisme existentialiste, c’est essentiellement comme peintre qu’on le redécouvre depuis le milieu des années 2010.
La grande exposition monographique que lui consacre Collection Lambert tisse ensemble les 30 dernières années de sa création. Et fait saillir, plutôt que tel ou tel médium, un dialogue avec la part tragique et grandiose de l’humain·e qui plonge ses racines dans les abysses de la mythologie grecque.
Georges Tony Stoll. Le destin du Minotaure, du 13 mars au 6 juin à la Collection Lambert à Avignon.
Photographie-vérité
Au fil de ses séries de photographies, Leigh Ledare pratique une approche conceptuelle qui le voit explorer les tenants et les aboutissants de différentes situations. Le plus souvent, celles-ci impliquent l’artiste, qui les vit et les documente, tout comme elles ont trait à l’intime saisi sous le prisme de l’interdit, du tabou ou de l’inconfort.
On observe sa mère, ou son ex-femme, interagir avec lui, tout en interrogeant les spectateur·ices sur la notion de voyeurisme ou de consentement. Tout est construit, comprend-on, rien n’est vrai, et la preuve en image ne dit rien ou si peu des normes morales et sociales qui orientent le regard, et ultimement, font voir.
La galerie mfc-michèle didier consacre à l’artiste américain né en 1976 une nouvelle exposition, tout en publiant également à cette occasion une édition consacrée à sa série Personal Commissions.
Leigh Ledare. To you who make the springtime, I send my winter, du 25 mars au 21 mai à la galerie mfc-michèle didier à Paris.