L’engouement pour la cuisine comme valeur refuge n’est-il pas le symptôme d’une société frileuse ?
Partagez vos goûts, mitonnez vos rencontres”, propose un site internet pour vous aider à trouver un partenaire qui partage vos goûts culinaires. Marmitelove.com se lance le 15 avril sur ce concept élémentaire. “Plutôt sucré ? Cuisine bio ? (…) En quelques clics, sélectionnez le profil que vous recherchez”, explique le communiqué.
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Ce pari de la compatibilité alimentaire maximum débarque en pleine crise économique et après le “débat” sur l’identité nationale.
“Les gens ont de plus en plus tendance à se fabriquer des régimes sur mesure, avec une liste personnelle des aliments qu’ils s’autorisent, constate Jean-Pierre Corbeau, professeur de sociologie de la consommation et de l’alimentation à l’université de Tours. L’idée est la suivante : la nourriture, mais aussi l’air que l’on respire, et bien sûr, le sexe, tout ce qui constitue une pénétration de l’autre par un corps étranger, peut modifier notre identité. Plus on est dans une logique sécuritaire, de contrôle, plus la suspicion augmente vis-à-vis de l’aliment, avec une nomenclature de ce qui est comestible, ou pas, pour soi.”
Si l’orthodoxie alimentaire représente l’une des nouvelles religions du XXIe siècle, l’engouement pour la cuisine comme valeur refuge n’est-il pas le symptôme d’une société frileuse ?
“Au-delà du frileux ! C’est une société en panne”, renchérit Jolanta Bak, présidente d’Intuition, société de conseil en innovation, qui analyse les tendances influençant nos façons de vivre et de consommer. “Depuis un moment, on observe un repli sur la maison, lié à un désintérêt pour la sphère publique, faute d’ambition collective.”
Une fois chez eux, que font les Français ? Ceux qui regardent la télé plébiscitent Un dîner presque parfait ou Top chef sur M6, en attendant de découvrir, en septembre, Masterchef, la réplique de TF1. C’est ainsi que l’utopie familiale, organisée autour de l’enfant, sa figure centrale, se nourrit avec gourmandise de recettes gastronomiques et de conseils diététiques.
Paradoxe : les trentenaires qui n’ont même pas appris “à monter une mayonnaise” comme le chante Arnaud Fleurent-Didier dans son single France Culture, se préoccupent, devenus parents à leur tour, d’enseigner à leur progéniture les valeurs du bien-manger. Et s’il devient plus important de réussir sa vie familiale que sa carrière, le rituel du repas prend la force d’une communion à haut potentiel symbolique.
“La nourriture, ce sont les besoins primaires, c’est la survie, remarque Jolanta Bak. En période de crise ce n’est pas anodin.” Cela n’aura pas échappé à BNP-Paribas, qui dans sa campagne sur les crédits d’investissement réservés aux PME, artisans et commerçants, met en avant l’équipe du restaurant parisien Les Fils à maman : là, on sert à ses clients “la bonne cuisine d’antan”. Tellement rassurant.
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