Figure de la vie culturelle anglaise, Francis Wyndham a signé un bref roman cruel, critique sociale de l’upper-class british, et des nouvelles aussi acérées. A découvrir d’urgence.
BIO EXPRESS FRANCIS WYNDHAM
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1924 Naissance à Londres.
1940 Diplômé d’Eton, il intègre Oxford puis rejoint les rangs de l’armée en 1942. Il part au front mais, atteint de tuberculose, il sera réformé. De retour à Londres, il débute comme critique littéraire pour The Times Literary Supplement.
1974 Premier recueil de nouvelles, Out of the War.
1980 Critique au Sunday Times. Découvre V.S. Naipaul, Bruce Chatwin ou Jean Rhys.
1985 Mrs Henderson et autres histoires.
1987 L’Autre Jardin.
Francis Wyndham connaît tout le monde dans le milieu des arts et des lettres british. Mais lui demeure un écrivain méconnu, en tout cas très discret. Peu prolixe, il n’a écrit que trois livres, dont un seul roman, L’Autre Jardin, qui lui valut le prix Whitbread du premier roman en 1987. Il avait déjà 63 ans.
Critique littéraire pointu, il a notamment découvert V. S. Naipaul et compte le peintre Lucian Freud parmi ses amis proches – il fut même l’un de ses modèles. Sur l’un des tableaux de Freud, Wyndham lit tranquillement, installé dans un canapé de cuir défoncé. De cette image comme de ses livres se dégage une apparente simplicité, quelque chose de classique et de rassurant.
Mais l’écriture maîtrisée, délicate, n’est qu’un élégant vernis posé sur une oeuvre plus ambiguë, une forme de pudeur enveloppant des interrogations existentielles et un sentiment lancinant d’inadaptation au monde. En exergue d’“Obsessions”, l’une des nouvelles de Mrs Henderson et autres histoires, Wyndham place d’ailleurs cette phrase de Paul Valéry, tirée des Extraits du Log-Book de Monsieur Teste : “C’est ce que j’ai d’inhabile, d’incertain, qui est bien moi-même.”
Ce principe d’incertitude constitue le coeur même de son oeuvre, et prend vie à travers ses personnages.
Dans L’Autre Jardin, court roman désabusé, avec la Seconde Guerre mondiale pour toile de fond, Kay Desmaret reste une énigme irrésolue, “un mystère presque aussi fascinant que celui de Greta Garbo”. Rien de spectaculaire chez cette jeune femme au physique ordinaire, si ce n’est sa timidité maladive et un laconisme qui tranche avec le bavardage oiseux de la bonne société anglaise que Wyndham épingle l’air de rien.
Détestée par sa mère, mondaine sotte, peu aimée de son père, et vouant un amour démesuré à son sublime frère Sandy, Kay ne trouve sa place nulle part. Sa vie se déroule comme une lente tragédie, sans éclats ni outrance. Elle fascine le narrateur, son voisin, qui a dix ans de moins. Peut-être parce que leurs existences suivent des cours parallèles : l’amour du cinéma, la tuberculose, un même “goût pour l’ennui et l’inaction” et surtout ce léger décalage par rapport à la vie.
Rien à voir avec le spleen –Wyndham fait preuve de trop d’humour et de distance. Ce sentiment d’étrangeté provient plutôt d’un rejet intériorisé des codes rigides qui corsettent la bourgeoisie. Cette critique sociale, feutrée et sous-jacente, est encore plus sensible dans Mrs Henderson…, recueil de nouvelles qui suit l’itinéraire du narrateur depuis ses années de pensionnat jusqu’à sa vie d’adulte.
Là encore s’exprime une fascination pour les personnages à la marge. Tel James, le demi-frère du narrateur, parfaite incarnation de la jeunesse dorée des années 30-40, finalement assez proche de nos “people” contemporains : alcool, drogue, sexe et rehab – Lindsay Lohan n’a rien inventé.
Mais le plus beau texte est celui consacré à Ursula, sa demi-soeur homosexuelle, qui quitte tout par amour pour une actrice noire et part vivre à New York avec sa maîtresse. A elle seule, elle dynamite toutes les conventions de l’époque. Kay, Ursula et tant d’autres : Francis Wyndham, digne héritier d’Henry James, excelle dans les portraits de femmes.
Ecrits il y a plus de vingt ans, ses livres nous touchent toujours aujourd’hui. Leur sobriété raffinée est indémodable.
L’Autre Jardin (Christian Bourgois), traduit de l’anglais par Anne Damour, 144 pages, 14€
Mrs Henderson et autres histoires (Christian Bourgois), traduit de l’anglais par Delphine Martin, 168 pages, 16€
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