Dernier film d’Ophüls à Hollywood. Un polar follement stylé.
LE FILM
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Les Désemparés clôt la période américaine de Max Ophüls. Entre 1946 et 1949, le cinéaste allemand, qui a fui le régime nazi après son plus grand succès (Liebeleï, 1932), a réalisé trois films à Hollywood, dont le sublime Lettre d’une inconnue, d’après Zweig.
Immédiatement après ces Désemparés, il revient en Europe et offre au cinéma français quelques arabesques valsées inoubliables (La Ronde, Le Plaisir, Madame de…, Lola Montès). Longtemps difficile à voir, réalisé en moins de trente jours avec un budget assez faible, Les Désemparés est un film noir très personnel, ne serait- ce que parce qu’un personnage féminin y occupe le coeur du récit et presque tous les plans.
Mère de famille qui endosse la responsabilité d’un meurtre accidentel commis par sa famille, Joan Bennett incarne pourtant un type assez original d’héroïne ophulsienne, moins détachée et mélancolique que Darrieux ou Joan Fontaine, opiniâtre, autoritaire, presque virile.
Face à elle, James Mason, en maître-chanteur miné par les scrupules, oppose une sentimentalité un peu souffrante et une délicatesse embarrassée tout à fait inattendue.
Aucune romance ne vient solder la rencontre de ce truand pas comme les autres avec cette mère exemplaire. Tout au plus lui permettra-t-il d’entrevoir furtivement l’ingratitude de sa place, celle d’une mère au foyer bon petit soldat vouée à la solitude, postée entre deux enfants un peu ingrats et un mari toujours absent. Cette cage invisible et mobile qui enserre la mère modèle prend la forme – comme toujours chez Ophüls – de longs plansséquences en travelling, qui précèdent ou emboîtent le pas de l’actrice en perpétuel déplacement.
Joan Bennett arpente les plans comme autant de champs de bataille, et la caméra glisse et n’élude aucun de ses trajets. Pourtant, l’écriture ici n’accomplit pas les prouesses voyantes des chefs-d’oeuvre français de la dernière période. Les virtuoses plans-séquences se coulent dans l’économie formelle plus discrète de la série B.
Impeccablement stylisé mais jamais tape-à-l’oeil, fidèle aux canons du genre (jusque dans sa photo toute en jeux d’ombre nocturnes) mais secrètement personnel, Les Désemparés n’est donc en rien l’apothéose du système Ophüls mais, légèrement ailleurs, c’est un très beau film.
LE DVD
Deux compléments éditoriaux cernent le film. D’abord, une longue interview d’un spécialise américain d’Ophüls, Lutz Bacher, qui ne tarit pas d’anecdotes sur le tournage, restitue jour après jour le plan de travail, au risque de se perdre dans des détails parfaitement anecdotiques.
Plus excitante est l’interview de Todd Haynes. Le réalisateur de Loin du paradis (descendance possible des Désemparés) est un fan du film et livre quelques commentaires bien vus sur ces films des années 40 qui, dans la foulée du Roman de Mildred Pierce avec Joan Crawford, ont projeté des héroïnes de mélodrame dans des trames de films noirs.
LES DÉSEMPARÉS de Max Ophüls, avec Joan Bennett et James Mason (E.-U., 1949, 1h22), Carlotta, environ 20€
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