Selon un sondage CSA, le bouclier fiscal est contesté par 67 % des Français. Nicolas Sarkozy continue de s’y accrocher mais l’enjeu est plus symbolique que financier. Les évasions concernent chaque année une poignée de contribuables. Et il n’existe pas de données précises sur les raisons de leur départ.
« A tous les expatriés qui sont malheureux de la situation de la France et de leur départ, je veux dire: Revenez! », exhortait Nicolas Sarkozy le 30 janvier 2007 en campagne à Londres. Trois ans après, les brebis égarées sont-elles rentrées au bercail grâce au bouclier fiscal ? Pas sûr.
Si l’on en croit les chiffres communiqués hier par le ministre du Budget François Barouin, lors de son audition à la commission des finances, la fuite des Français s’est même accélérée en 2008: 821 redevables à l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ont quitté l’Hexagone. 14 % de plus qu’en 2007, où ils étaient 719 à s’être exilés. Une année exceptionnelle puisque c’était la première fois depuis le rétablissement de l’ISF en 1997 que le nombre d’exilés fiscaux baissait. En 2006, avant l’instauration du bouclier fiscal, 846 départs avaient été enregistrés.
Plafonner le taux d’imposition des riches contribuables Français à 50 % de leurs revenus. C’était le deal proposé par Nicolas Sarkozy pour leur passer l’envie de chocolat suisse ou de voyage aux Iles Caïman. Voire inciter les exilés fiscaux à refaire leurs valises pleines de billets et à rentrer à la maison. Selon les derniers chiffres, 16 500 personnes ont profité du dispositif l’année dernière, 1000 de plus qu’en 2008.
« Le boulet fiscal »
De toute façon, explique Thibault Gajdos, économiste et chercheur au CNRS, « on ne peut pas mesurer l’impact du bouclier fiscal. L’échantillon est beaucoup trop petit. Et on ne dispose pas de données précises sur ce qui pousse les gens à partir à l’étranger. Il y a 36 000 raisons de partir. Pour la retraite, le travail. Ou pour d’autres raisons fiscales, comme l’impôt sur les successions par exemple. »
Insuffisant pour inciter au retour et vécu comme une injustice par une classe moyenne obligée de se serrer la ceinture en temps de crise, le bouclier fiscal a du plomb dans l’aile. « Je l’ai toujours appelé le boulet fiscal », a fustigé Laurent Fabius sur Europe 1.
Du coup, se pose aussi la question de sa rentabilité. Et là aussi, ça se complique. L’équation est pourtant simple. Pour que le bouclier fiscal soit rentable, il faut que le manque à gagner du fisc soit supérieur au coût du bouclier fiscal. Apparemment c’est loin d’être le cas. En 2006, les départs ont engendré 17,6 millions d’euros de manque à gagner pour les caisses de l’Etat. Le bouclier fiscal a coûté 578 millions d’euros en 2008. 586 millions en 2009.
« On voit bien que le retour d’une poignée d’expatriés est loin de compenser le coût du bouclier, commente Thibault Gajdos. En fait, ce dispositif n’a jamais été défendu comme une mesure d’efficacité fiscale. Plus comme une mesure d’équité! »
« Petits revenus »
Après s’être un peu dispersée, la majorité tente maintenant de faire front pour sauver la mesure emblématique du quinquennat Sarkozy. Jean-François Copé, tout en rappelant qu’il fut à l’origine de la mesure lorsqu’il était ministre du Budget de Dominique de Villepin, a estimé que le bouclier fiscal était « un élément absolument essentiel de notre système fiscal. On ne doit pas prendre aux Français plus de la moitié de ce qu’ils gagnent. Il ne faut pas se leurrer, si les Français qui gagnent le plus partent à l’étranger, alors tout le fardeau fiscal pèsera sur les seules classes moyennes. C’est pour éviter cela que nous avons créé ce bouclier. »
« L’évasion fiscale reste un problème marginal, selon Thibault Gadjos. En France, on est loin d’être dans un impôt confiscatoire. Tous ces débats permettent surtout de ne pas parler des autres problèmes : l’ISF, les trop nombreuses niches fiscales… Le nouvel argument des investissements n’est pas valable. Ce n’est pas parce que les gens s’expatrient qu’ils n’investissent pas en France. » Pour l’économiste, « il n’y a pas une seule bonne raison économique en faveur du bouclier fiscal. »
L’opposition est donc partie à l’assaut du bouclier. Mardi, les parlementaires socialistes ont déposé une proposition de loi tendant à abroger le bouclier fiscal et le député Jérôme Cahuzac a exigé de la clarté. Les seuls émigrés fiscaux qui sont rentrés le sont parce ils ont été licenciés par les banques londoniennes, crise aidant », s’est-il indigné face à François Barouin. L’Assemblée examinera la proposition de loi le 20 mai prochain.