SZA a tout simplement sorti l’un des albums les plus impressionnants de l’année.
Dix ans avant d’avoir l’honneur d’être l’un des deux featurings du dernier album de Rihanna (l’autre étant Drake), SZA était l’une des seules ados Noires de son lycée du New Jersey. Désormais, la chanteuse R’n’B de 26 ans est l’unique fille signée sur le label de Kendrick Lamar. Et ce n’est qu’un début : la hype n’en finissant pas de grimper depuis la sortie de son excellent premier album Ctlr : Solange Knowles lui fait des big-ups énamourés sur Twitter, Pharrell assure les chœurs d’un de ses morceaux presque incognito, son idole Drew Barrymore apparait dans l’un de ses clips et RZA du Wu-Tang Clan (son autre idole) lui tresse des louanges sur une vidéo promo. On est allé à sa rencontre pour parler de son ascension fulgurante et revenir sur l’un des disques les plus impressionnants sortis cette année.
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Tout est en train de changer très vite pour toi avec ce premier album. Dans un morceau, tu dis avoir besoin de te souvenir d’où tu viens : d’où viens-tu ?
SZA – En écrivant ça, je pensais à mes racines, à ceux qui sont connectés à mon passé : ma mère, bien sûr, mais aussi mon petit ami parce qu’il me connait de l’époque où j’étais nulle en classe et où je me faisais virer de tous mes tafs. Ces gens m’aident à garder les pieds sur terre. Ils ont vu ma face la plus moche, la plus sale, la plus défaite, donc ils sont là pour me le rappeler et pour me motiver. Car ils savent de quoi je suis capable, en partant de rien.
Tu as grandi à Maplewood. Une petite ville de New Jersey à majorité blanche. C’était difficile de grandir là-bas, à l’époque du 11 Septembre, en tant que noire et musulmane ?
Oui. Clairement. Mais bon, grandir est difficile en général ! (rires) C’était la fin des années 1990, le début des années 2000. La ville est jolie, chaleureuse, mais j’avais du mal à m’intégrer. Dans tous les domaines qui m’intéressaient, il n’y avait pas de jeunes Noirs. En gymnastique par exemple, dans mon équipe on n’était juste trois Noires sur quarante ! Pareil dans mon quartier, on était l’une des seules familles de couleur sur plusieurs blocks à la ronde. Mais j’avais envie de me lier aux gens, de m’intégrer, d’être comme les autres. C’est malgré tout en endroit que j’aime, j’y suis retournée pour le 4 Juillet [Fête de l’indépendance aux Etats-Unis, ndlr] pour voir ma mère. J’ai d’ailleurs chopé quelques piqûres de moustique (rires).
On entend ta mère sur l’album : elle parle de contrôle – en écho au titre du disque Ctrl – et de la foi comme rempart contre le chaos de l’existence. C’est un texte que tu lui as écrit ?
Non ! Ma mère est si amusante, si j’avais écrit son texte, ça se serait entendu direct. Elle est très éduquée, très consciente de ce qu’elle dit, donc elle aurait trop réfléchi et perdu toute spontanéité. Donc non, on a simplement discuté une heure, et j’ai utilisé la fin de la conversation. Le concept même du disque autour du contrôle ne vient pas directement de ce dialogue, mais il vient de ma mère, c’est sûr : pour elle, c’est un élément central. Elle a besoin de contrôle pour respirer, et elle le sait : son combat est constant. Autant dire qu’à côté d’elle, je suis une sauvage absolue ! Par exemple elle aimerait que je contrôle un peu mieux mon langage…Mais je me retrouve aussi en elle : j’aimerais avoir plus de contrôle sur mon existence.
La difficulté à s’accepter et à trouver sa place sont des thèmes centraux du disque. Pour évoquer ce sentiment de solitude et d’aliénation, tu fais référence aux comédies romantiques de Drew Barrymore des 90s, notamment College Attitude : l’histoire d’une journaliste mal dans sa peau qui retourne au lycée pour un reportage…
J’adore ce film ! Comme le personnage de Drew Barrymore, en faisant ce disque j’ai un peu revécu l’anxiété du lycée, cette fois en tant qu’adulte. Mais c’est quand même bien plus facile et agréable maintenant ! Je ressens moins de peur.
Ta voix semble d’ailleurs plus affirmée, moins noyée sous les effets vaporeux du cloud R’n’B …
J’ai enlevé de la reverb, changé de micro et augmenté le volume. Mon chant est plus nu et direct. Avant je n’osais pas l’exposer ainsi, j’étais embarrassée par le son de ma propre voix. Je cherchais à la cacher. Sur cet album, on s’est réconciliées.
Est-ce que tu aimerais réellement être une « fille normale », comme tu le chantes sur un morceau ?
Non, car le désir de se fondre dans le décor qui m’obsédait quand j’étais ado s’est dissipé. Mais parfois oui, j’aimerais être moins anxieuse. Quand je fais une crise, ça fait flipper tout le monde ! (rires) Avant les concerts, j’ai des sueurs froides et l’envie de vomir. Quand j’apprécie quelqu’un, ça me bloque, je n’arrive plus à parler normalement. Par exemple lorsque j’ai rencontré Beyoncé, j’ai bugué, je lui ai dit n’importe quoi, c’était embarrassant.
Tu es signée sur le label TDE, au milieu de rappeurs comme Kendrick Lamar ou Schoolboy Q. Tu te sens à l’aise dans cette ambiance virile ?
Sur scène avec eux, j’étais la seule fille ! Mais je me sens à ma place parmi eux. Je porte les mêmes fringues de sport, de toute façon ! Bon OK, aujourd’hui je suis plus féminine [elle est en robe, très apprêtée, ndlr] : mais bon normal, je suis une adulte maintenant ! (rires) Je viens de déménager à Los Angeles, donc je les vois plus souvent. On traîne ensemble, c’est cool, je suis moins nerveuse avec eux.
Dans tes chansons tu n’hésites pas à évoquer tes peurs, voire même tes complexes physiques. Ce qui est assez rare dans le cadre glamour du R’n’B. Ce genre d’honnêteté un peu torturée te rapproche de Frank Ocean…
(Touchée) Merci… Il est incroyable. Je pense souvent à Frank Ocean et à sa musique – probablement trop souvent ! Je me sens très proche de ce qu’il fait.
Tu souffres de phobie sociale. Comment ça se traduit concrètement ?
J’aime l’amour réciproque. Parce que je sais ce que c’est d’être timide, effrayée, rejetée. Donc j’aime renforcer cet amour. Mais en ce qui concerne l’attention, le fait d’être observée, et donc aussi la considération qui va de pair avec la notoriété, j’ai plus de mal à gérer. Je ne sais pas sur quoi cela repose, en fait. Mon esprit part alors un peu en live : qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qui se passe ?
Tu as l’air fascinée par Forrest Gump, film que tu évoquais déjà dans ton précédent album en citant une prière de Jenny, et cette fois en comparant la fameuse boîte de chocolats avec le vagin. Tu te reconnais dans ce personnage à la fois plein d’amour et handicapé socialement ?
Je me sens tellement proche de ce film…Et de Forrest oui. En grandissant, je me suis plus identifié à Jenny ! [le grand amour de Forrest, incarné par Robin Wright dans le film de Zemeckis, ndlr]. Ses sentiments multiples et sa dualité me parlent beaucoup.
C’est marrant, Forrest Gump a aussi inspiré un morceau marquant à Frank Ocean…
On a le même rapport au monde, Frank Ocean et moi. Ce qu’il exprime, j’ai l’impression de le ressentir aussi et je le comprends.
Les références au cinéma 90’s abondent chez toi, avec les comédies romantiques de Drew Barrymore, Forrest Gump, mais aussi l’effrayant personnage joué par Kathy Bates dans Misery, qui apparaît avec sa hache dans le clip pourtant sensuel de Love Galore. C’était ton idée ?
Oui, je suis grande fan de Misery. Ce que je préfère dans les films, c’est quand ils agrègent des trucs sombres de manière perturbante, comme dans Rosemary’s Baby ou Misery. Kathy Bates est vraiment inquiétante dans Misery, et on sent qu’elle s’amuse à l’être. En fait ce qui m’intéresse le plus, c’est la juxtaposition. Quand il y a un équilibre entre les ténèbres et la beauté dans les films, quand les côtés obscurs et lumineux se nourrissent l’un l’autre de manière non pas douce et confortable, mais surprenante. Une histoire d’amour toute mignonne et paf, quelqu’un est tué ! (rires)
https://www.youtube.com/watch?v=ID5mbZHhUoI
On retrouve un peu l’équilibre dont tu parles dans ta musique. En particulier dans le morceau Supermodel, où tu révèles à ton ex que tu l’as trompé avec son pote. C’est très violent ! Tu voulais te venger ?
C’est d’autant plus agressif que ce que je dis dans la chanson est authentique ! Il l’a un peu cherché, il m’avait quand même posé un lapin un soir de Saint Valentin… Cela dit, pour moi ce n’est pas une revenge song, car on n’est plus ensemble. Je ne voulais pas le blesser…Et en même temps je voulais qu’il le sache. C’était une manière de revenir dans le passé pour régler ça une bonne fois pour toutes. J’adore dire des trucs horribles sur de la jolie musique ! Ce morceau, on l’a enregistré différemment des autres, sans la base rythmique habituelle : juste une ligne de guitare. Du coup, ça laissait beaucoup d’espace pour ma voix. Dans ce vide qu’il fallait combler, c’était plus facile de laisser libre cours à mes pensées les plus enfouies. J’étais submergée par l’émotion. J’ai écrit Supermodel en même temps que la musique se créait, en improvisant. Freestyle.
Un peu comme Lil Wayne ! Tu écris souvent si rapidement ?
Oui car je fais de l’ADHD [hyperactivité et troubles de l’attention, ndlr] : je pense très vite et j’ai la bougeotte. Donc ralentir pour écrire me pose problème.
Au collège et au lycée, tu étais considérée comme une nerd ?
Oui, j’étais vraiment exclue. J’avais même peur d’être intelligente, car c’était ennuyeux : ça m’excluait encore plus ! J’étais très forte en lettres, en langues, plus tard en philo. J’avais peur de la solitude, et en même temps j’aimais ça.
Comment réagis-tu maintenant face à la célébrité qui arrive ?
Je suis terrifiée.
https://www.instagram.com/p/BWXH_fDjI2C/?taken-by=sza&hl=fr
L’album Ctrl est disponible sur Apple Music.
En concert (en première partie de Bryson Tiller) : à Marseille (Le Silo) le 17 octobre, à Paris (Zénith) le 19 octobre, et à Bruxelles (Forest National) le 21.
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