“Laura is the one”. Des éclats de rage éclatent sporadiquement çà et là sur le désormais vaste territoire de “Twin Peaks”, du nord-ouest au sud-ouest, en passant par le nord-est des USA (Twin Peaks, Las Vegas et Philadelphie). Le capital policier de la série est réalimenté par quelques micro-événements violents…
A la fin de l’épisode, la femme à la bûche profère un des oracles dont elle a le secret – est-ce une vision du shérif Hawk ou bien un flash-back ? –, en commençant par la phrase : “The electricity is humming”. Ce que les sous-titres traduisent par “il y a de l’électricité dans l’air”. Le propos de la mystérieuse dame n’est pas un commentaire de ce qui a eu lieu dans l’épisode mais plutôt l’annonce d’une forme de révélation ou de résolution (“the circle is almost complete”). On veut bien, mais là on a vu beaucoup de fuite en avant et un festival de violences à l’égard des femmes.
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https://www.youtube.com/watch?v=xBktL4xWoGA
Symptomatiquement, même une calme chanson country (Red River Valley) interprétée par le manager du Fat Trout Trailer Park, alias Harry Dean Stanton, charmant vieillard échappé d’Une histoire vraie de Lynch, est brutalement interrompue par un accès de fureur exprimé par le jet d’un mug à travers une fenêtre de caravane. Manifestation domestique ordinaire, sans commune mesure avec la traînée de violence que laisse sur son sillage Richard Horne, rejeton dégénéré de la famille patricienne de Twin Peaks, qui est peut-être le vecteur de la renaissance du feu maléfique qui avait déferlé sur la ville il y a 25 ans.
Lynch retrouve donc ses marques, quelque part entre Sailor et Lula et Lost Highway dans cet épisode très émietté, qui n’est pas comme le précédent un simple épisode de transition, mais traduit néanmoins une telle volonté d’équilibre entre les différents jeux, enjeux et situations que malgré l’énergie déployée rien n’est vraiment bouleversé.
https://www.youtube.com/watch?v=JRbfHRypEAw
Détruire, dit-il : la violence comme moteur et accélérateur de la narration
On pourrait parler de routine, mais chez Lynch même la routine est particulière. Pas de jeu surréel sur la banalité comme dans l’épisode 9, mais plutôt un malaise poussé à son paroxysme en permanence et une violence systématique. L’exemple le plus absurde voire gratuit, étant celui où une hôtesse du casino des frères Mitchum dans le Nevada, vêtue comme une fée de fête foraine, poursuit une mouche ; pour l’écraser, elle assène un coup de télécommande sur la tête d’un de ses patrons, avant de fondre hystériquement en larmes.
Chez Lynch, l’enjeu n’est pas la violence comme spectacle. Elle est plutôt schopenhauerienne : le monde lynchien c’est la violence “comme volonté et comme représentation”. Pour que quelque chose existe, il doit y avoir une violence originelle – l’étalon absolu ici étant le meurtre de Laura Palmer. Autrement dit, la série ne peut avancer et évoluer que par ce type d’accès et d’excès dont des êtres maléfiques sont les vecteurs.
On parle beaucoup de soap à propos de Twin Peaks ; parfois on compare cela à une sitcom. Mais c’est essentiellement un thriller, il est vrai zébré par des éclairs poétiques, lumineux, barrés, des sortes de précipités naïfs, voire idiots (Dougie Jones incarnant l’idiot magnifique du récit, au sens dostoïevskien), grâce auxquels Lynch fonde son style et sa signature. Mais si le monde de Twin Peaks n’était pas traversé par une loufoquerie à la Beckett ou à la Ionesco, il n’aurait pas de raison d’être.
Tout ceci pour dire que si cette flambée sporadique de violence dans les différents espaces de la série (une autre vengeance se trame à Las Vegas) lui fournit une tension constante, ce n’est qu’un carburant. Dans l’épisode 10, cela prend pas mal d’ampleur, mais on ne peut pas dire que cette rafale de micro-événements fasse effectuer un grand bond au récit. Bientôt, comme l’a dit la Log Lady, on devrait passer à des choses plus sérieuses…
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