Depuis l’année dernière, les étudiant·es du 34 quai d’Austerlitz réalisent un défilé digital en ouverture de la semaine de la mode parisienne.
En mars 2021, alors que l’industrie de la mode était plongée dans une période de flou et d’incertitudes quant au déroulement des défilés traditionnels, transformés pour une large partie d’entre eux en événements virtuels, les créateurs de demain ont vu apparaître une lueur d’espoir pour rendre plus concrets leurs dessins et leurs créations.
En cette après-midi ensoleillée de février, c’est l’effusion au 34 quai d’Austerlitz. Les étudiants de l’IFM (l’Institut français de la mode) sont en plein tournage d’une vidéo un peu particulière, diffusée pour l’ouverture de la Fashion Week ce 28 février. “En 2022, nous avons décidé de nous promener entre le virtuel et le réel”, nous explique Leyla Neri, directrice du Master of Arts in Fashion Design de l’IFM.
Entre artisanat et nouvelles technologies
“L’accessoire a toujours été très compliqué à exploiter. Cette année, nous avons dit à nos étudiant·es de s’affranchir des contraintes d’espace, de gravité, de proportions. Iels ont pu se révéler à travers leur dimension artistique, qui jusqu’à présent était quand même très voilée, ajoute Leyla Neri. Accompagné·es de technicien·nes artistiques spécialisé·es dans l’image virtuelle, iels ont pu apprendre à apprivoiser ces nouvelles technologies à travers leur univers créatif. Pour la première fois à l’IFM, on découvre que l’accessoire est un objet qui peut être très artistique.”
Et si les étudiant·es se dirigent peu à peu vers de nouvelles techniques de production et de création, ce n’est pas sans délaisser l’artisanat, qui occupe toujours une place centrale dans leur processus de fabrication. “On pourrait penser que l’artisanat est un peu antinomique par rapport à la technologie, l’impression 3D, alors que pas du tout. Les étudiant·es le perçoivent comme quelque chose de complémentaire, sans aucune contradiction.”
Pour Xavier Thurston, attaché de presse chez Stage 11, une entreprise accompagnant les étudiant·es de l’IFM dans la conception de leurs accessoires en 3D, l’essor des nouvelles technologies dans le processus de création pourrait révolutionner l’expérience d’achat en magasin dans un futur proche : “Pour acheter un tee-shirt, au lieu d’aller dans une boutique physique pour essayer les produits, on ira dans une boutique virtuelle et on pourra avoir une toute nouvelle expérience autour du vêtement. C’est aussi l’idée de montrer aux étudiant·es qu’il existe cette possibilité dans le futur de travailler sur du digital. Ça annonce aussi l’arrivée de nouveaux métiers dans la mode.”
Deux questions à Étienne, étudiant à l’IFM depuis trois ans
“Ma collection parle de ma double culture, car je suis né au Sénégal. En France, je suis plus considéré comme noir et au Sénégal, je suis plus considéré comme blanc. J’ai imaginé mes vêtements pour des modèles hommes, mais il peuvent aussi être portés par des femmes sans que ça change ma manière de les concevoir.”
Quelle est selon-toi la pièce maîtresse de cette collection ?
Étienne – Je pense que je choisirais ce sac (voir photo ci-dessous). Il est né de tissages que ma tante a faits il y a quarante ans. Je les ai trouvés dans son garage et j’ai voulu leur donner une seconde existence. Lorsqu’elle les a créés, à partir de végétaux, son intention était de représenter la structure d’un arbre avec les racines qui sortent. J’ai voulu réutiliser ce concept pour ce sac. Le fait de les mettre dans le dos pourrait représenter en quelques sortes la colonne vertébrale de l’homme.
Quelle place pour l’upcycling ?
Pour ces chaussures, j’avais cette idée de mélanger une Asics, une des paires les plus présentes à Marseille dans le streetwear, avec des babouches, qui sont omniprésentes dans le vestiaire arabo-africain. J’ai collaboré avec un étudiant qui était en master chaussures l’année dernière pour qu’il m’aide à utiliser les machines et à concevoir cette paire que j’avais imaginée.
Pour Étienne, c’est une fierté de faire partie de cette vidéo en tant qu’étudiant. “Je pense que ça peut donner envie à des jeunes de faire l’IFM ou en tout cas de leur faire se dire que ce n’est pas impossible de se lancer dans la mode.”
2 questions à Mathilde, 24 ans, en 2e année de master accessoire à l’IFM
“Cette collection parle d’identité digitale et questionne notre relation aux nouvelles technologies. Les écouteurs et nos téléphones font aujourd’hui partie intégrante de nos vies et je voulais jouer avec ces codes esthétiques pour les réintégrer dans la maroquinerie. Aujourd’hui, avoir le dernier iPhone et que tout le monde le voie donne une sorte de “statut-symbole”.”
Quelle est l’histoire de ce sac, qui revêt la forme d’un HeadSet de réalité virtuelle ?
Mathilde – Pour ce sac, j’ai essayé d’intégrer les nouvelles fonctions de l’innovation qui font partie de l’univers de la maroquinerie. Les malles Vuitton sont nées avec l’essor du chemin de fer ; aujourd’hui, les grandes marques font des coques de téléphone portable. Dans cet esprit-là, j’ai moi-même des lunettes VR et je pense que cet objet est voué à se démocratiser. Alors pourquoi ne pas en faire un accessoire ?
Quelle place pour l’artisanat ?
La collection s’appelle IRL. Elle touche à tous les sujets virtuels, mais dans la vie réelle. Je pense que c’est important car tous ces mondes virtuels sont stockés sur des serveurs, toutes ces choses ont une réalité physique ; en mettant des câbles, des clés USB, je les rends visibles et évidents. Ce sac a par exemple été conçu selon plusieurs techniques traditionnelles, comme la piqûre à la main. Je trouve que c’est important de rendre ça luxueux, d’y apporter du soin. Il existe un savoir-faire virtuel aussi et c’est bien de lui donner une réalité en créant des objets physiques.