Pile un an après la séparation des Daft Punk, leur jeunesse et leur genèse sont racontées dans “Daft”, un récit qui s’arrête au seuil de leur célébrité au début des années 2000.
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Accordons-nous d’abord sur une chose : Daft Punk est une fiction. Le duo, tout au long de ses 27 ans d’existence, aura tout fait pour devenir une forme fictive, imaginant très tôt dans sa carrière l’usage de robots en lieu et place des musiciens. Les casques ne disaient rien d’autre que cela : Daft Punk n’existe pas dans la réalité, mais dans un imaginaire mené par les deux membres du groupe, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo. Plus encore que Kraftwerk, qui faisait aussi usage de mannequins robotiques, Daft Punk aura théorisé et mis en pratique la façon de disparaître du réel au profit de personnages entièrement imaginaires. L’idée ne vient pas de nulle part. Elle s’imprègne très tôt dans la trajectoire du groupe, s’impose à eux, en étant concomitante de leur désir de tout encadrer, pour ne jamais se faire berner par l’industrie ou les médias. La force des Daft Punk, c’est le contrôle absolu qu’ils ont exercé, jusque dans la réinvention de leurs identités.
Un an après l’annonce de la fin du groupe, la publication de Daft permet de revenir sur leurs premières années et ce cheminement qui mène aux robots : le livre restitue une époque désormais lointaine et s’arrête au début des années 2000, lorsque le groupe adopte définitivement l’anonymat. D’une façon presque subliminale, il mène à cette conclusion et montre la trajectoire, qui va des années de lycée, des premières tentatives de musique jusqu’au succès planétaire et la façon de le gérer. Daft arrive aussi au moment où le groupe, désormais séparé, commence à mettre en ligne ses archives : le jour de l’anniversaire de la séparation, la plateforme Twitch permettait de regarder un concert datant de 1997, et cela alors qu’était aussi annoncée la réédition enrichie du premier album, Homework. Autant dire que ces deux derniers événements ont mis de côté la sortie du livre.
Daft Punk, une fiction
Une question demeure, pourtant : est-il possible d’écrire à propos d’une fiction, et notamment d’une fiction nommée Daft Punk ? Les deux autrices s’en sortent en construisant leur récit à la façon d’une enquête de magazine : leur écriture rappelle à la fois les biographies rock (on a l’impression d’être parfois dans un de ces magazines de musique qui enchaînent les anecdotes et se lisent très vite) et les papiers au long cours de revues d’investigation anglaises (la richesse des détails, la précision de certaines descriptions et le nombre de personnalités rencontrées évoque bien le récit à l’américaine, comme le New Yorker en mène encore parfois – on aurait aimé en lire davantage, avec plus de profondeur).
Avec l’évanescence des mémoires, les récits des uns et des autres deviennent un chemin à travers lequel le lecteur tente de percevoir certains enjeux, de mieux comprendre la musique, son environnement d’alors. À la façon d’un vieil album de photos et d’images, Daft produit l’impression d’un récit fragmentaire, auquel il manque des pièces. Une cartographie partielle d’une époque et d’une ville disparues. Celles et ceux qui ont connu ces années-là reconnaîtront des moments, des indices, des souvenirs : à chacun·e les siens.
Absence
Dans ce Paris disparu, dans lequel la musique se construisait autour de magasins comme New Rose, Danceteria, Rough Trade, les salles de concerts indés et les premières raves, notamment celle survenue sur le toit du Centre Pompidou, se dresse, presque à l’envers du livre, et malgré lui, une cartographie mentale d’une époque désormais de plus en plus éloignée de nous.
À tout cela, il manque cruellement les vraies voix des deux Daft Punk, même s’ils sont présents à chaque page. Une enquête récente sur la fin du groupe parue dans le magazine Society opérait de la même façon, et se heurtait aussi au même obstacle : faire parler l’entourage ne permet pas de saisir ce qui se passait réellement entre les deux Daft Punk, décrits par tous, mais eux-mêmes toujours absents. Or, ce qui échappe au livre, c’est bien tout ce qui se déroulait et passait entre eux et qui, au-delà des quelques séances de travail décrites plutôt précisément, n’est jamais totalement capté, cristallisé. Pourtant, le secret d’un groupe réside bien dans la relation entre les musiciens, ce qui se passe entre eux, ce qui les lie et les éloigne, ce qui les unit et les déchire, ce qui fait d’eux ensemble quelque chose de plus grand que l’un ou l’autre.
Daft semble traquer en permanence des fantômes, des traces, des ombres qui auraient plané sur des lieux, et affecté des vies. Mais sans jamais réellement saisir ce que sont profondément ces fantômes, et ce qui les hante à leur tour. Nouvelle addition à la vaste littérature et documentation consacrées à Daft Punk, le livre, par sa reconstitution d’une époque, servira sans doute de support à une série télévisée – si tant est qu’à l’époque d’Euphoria, l’innocence relative des années 1990, qui transparait de ce livre, puisse vraiment captiver le public de Netflix ou HBO, habitué désormais à des récits autrement plus trash. Ce qui est sans doute aussi l’une des raisons fondamentales pour lesquelles Daft Punk s’est arrêté : l’époque avait trop changé, elle avait dépassé, de loin, la fiction.
Daft, de Pauline Guéna et Anne-Sophie Jahn, éd. Grasset, 218 pages – 18,50 euros
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