Un moyen-métrage rare de Jean Eustache, le parfait film de l’Amérique anti-Trump, une enquête sur un film à jamais perdu ou Mastroianni peroxydé, il y en a pour tous les gouts dans notre sélection DVD du mois de Juillet.
Une sale histoire de Jean Eustache (1977) – Potemkine
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Film culte mais rare, Une sale histoire sort enfin en copie restaurée. Ce moyen-métrage que Jean Eustache réalisa quatre ans après La Maman et la putain (1973) prend la forme d’un diptyque où un homme raconte face à un auditoire réduit une singulière anecdote ; assis à la terrasse d’un café, il avait découvert un trou lui permettant de voir le sexe des femmes lorsque celles-ci se rendaient aux toilettes. Si le second volet du film est une captation de la parole du véritable auteur de cette expérience voyeuriste, le dandy et ami d’Eustache, Jean-Noël Picq, le premier en reprend le texte au mot près, texte interprété par le comédien Michel Lonsdale. Document et fiction partagent également la même construction en champ-contrechamp. Passionnant essai formel sur la captation du réel par le cinéma et sur la puissance de la parole comme levier de mise en route de l’imaginaire du spectateur, Une sale histoire est aussi l’expression du rapport tourmenté qu’Eustache entretenait à l’égard des femmes, lui qui définissait ce moyen-métrage comme « un film que les femmes n’aiment pas ». Dans les bonus du DVD, on ne sera donc pas surpris de retrouver un entretien avec Gaspard Noé, qui avait donné pour slogan à son dernier film (Love, 2015) : « un film qui fait bander les mecs et pleurer les filles ». Les bonus contiennent également un second entretien, cette fois avec Jean Douchet, un texte de l’historienne de cinéma Gabriela Trujillo et surtout une autre rareté de Jean Eustache, le documentaire Le Jardin des délices de Jérôme Bosch (1979).
Un jour dans la vie de Billie Lynn d’Ang Lee (2017) – Sony Pictures
Le treizième long-métrage du réalisateur taïwanais Ang Lee ne lui a pas porté chance. Boudé à sa sortie aux Etats-Unis et à peine plus aimé dans le reste du monde, Un jour dans la vie de Billie Lynn a été un désastre économique pour ses producteurs qui ont perdu 10 millions de dollars dans l’affaire. Et pourtant, ce film mal-aimé est à n’en pas douter l’un des plus grands films américains de l’année et l’une des plus sensibles œuvres traitant du traumatisme de la guerre d’Irak. Sa sortie en DVD est l’occasion de rattraper cette injustice. Le film raconte le retour au pays de Billie Lynn, jeune homme célébré en véritable héros pour avoir tué à l’arme blanche un ennemi qui venait de mortellement blessé son supérieur, incarné par un Vin Diesel pour une fois tout en délicatesse. En plus d’un mélo flamboyant et parfaitement construit, Un jour dans la vie de Billie Lynn est une prouesse technologique révolutionnaire et (trop?) en avance sur son temps. Tourné en 4K Ultra HD, en 3D et en 120 images par seconde (contre les 24 habituelles), ce film représente une expérience visuelle sans précédent… que quasiment aucune salle dans le monde n’a été en mesure de restituer. Mais loin d’être un simple gadget, ces avancées technologiques devaient servir au mieux la dénonciation de l’ultra-spectacularisation de l’usine de propagande américaine. Brûlot anti-patriotique, Un jour dans la vie de Billie Lynn est le parfait film de l’Amérique anti-Trump. Si le DVD ne vous permettra pas de vivre l’expérience souhaitée par Ang Lee, il devrait toutefois vous permettre de vous en approcher dans sa version 3D, 4K Ultra HD et surtout 60 i/s. Il est également assorti de scènes coupées et d’un making-of.
Belle dormant d’Ado Arrietta (2017) – Capprici
Malgré ses 74 ans, Ado Arrietta est l’auteur d’un des films les plus vifs et fougueux de cette première moitié d’année. Prenant ses racines dans le conte populaire fixé dans l’imaginaire collectif à travers les versions de Charles Perrault (1697), les frères Grimm (1812) et plus récemment Walt Disney (1959), sa version de la belle au bois dormant est d’un charme fou. On y suit Egon, le jeune prince héritier du royaume de Létonia. Il passe son temps entre des improvisations dissonantes à la batterie et une rêverie excitante : découvrir la contrée léthargique de Kentz et réveiller la belle dormant. Deux occupations ne plaisant guère à son père, qui ne croit pas en l’existence de ce royaume assoupi. Aidé de son précepteur et d’une archéologue envoyée par l’Unesco doublée d’une fée, Egon va pourtant partir à la recherche de sa promise et tenter de briser le sortilège. Doté d’un casting féérique (Niels Schneider, Agathe Bonitzer, Mathieu Amalric, Serge Bozon, Ingrid Caven, Andy Gillet), Belle dormant réactive le cinéma de Jean Cocteau et de Jacques Demy sans pour autant ployer sous ces références. Au contraire, le film brille par sa légèreté, sa grâce, sa sensualité enfantine et sa spontanéité toute contemporaine. En guise de bonus, vous retrouverez une série de courts entretiens avec les acteurs ponctués d’un dialogue d’une heure avec le réalisateur.
https://www.youtube.com/watch?v=WtiFZUbdgFE
The Lost City of Z de James Gray (2017) – Studio Canal
L’orfèvre James Gray nous a livré avec The Lost City of Z son film le plus ambitieux. Grand récit d’aventure sur lequel planent les ombres de Werner Herzog et de Francis Ford Coppola, The Lost City of Z est l’adaptation d’un roman de David Grann qui raconte l’histoire vraie de Percy Fawcett, l’un des plus grands explorateurs du XXème siècle. Tout d’abord mandaté par la Société géographique royale d’Angleterre pour cartographier la frontière entre le Brésil et la Bolivie dans le cadre d’un arbitrage internationale, Percy, incarné par Charlie Hunnam, secondé de son fidèle assistant interprété par un excellent Robert Pattinson, vont tant bien que mal s’enfoncer dans la forêt amazonienne. Mais cette excursion dans ces territoires supposés vierges de toute présence humaine l’amène à penser qu’ils sont en fait habités par une mystérieuse civilisation qu’il ne cessera de tenter de découvrir. Reprenant les thèmes chers au réalisateur, à savoir le tiraillement entre le devoir familial et l’ambition personnelle ainsi que l’obsession poussée jusqu’à la folie et la démesure, The Lost City of Z est une épopée visuellement sublime, un film complètement en dehors de son époque, autant en terme d’économie (le film a rapporté deux fois moins d’argent qu’il n’en a couté), que dans sa réalisation technique (le magnifique 35mm. du chef opérateur star Darius Kondji) et son rythme lancinant. Si le film est dès à présent disponible en DVD et Blu-ray, il n’est pas impossible qu’une version director’s cut sorte d’ici quelques temps. James Gray serait en effet en possession d’une version du film de plus de 4h.
Brothers of the Night (2017) de Patric Chiha – Epicentre
Le troisième film du réalisateur autrichien Patric Chiha tient sur un fil de rasoir. Entre documentaire et fiction, il nous plonge dans une nuit viennoise sans fin où évolue de jeunes roms qui se prostituent dans un bar gay. Là où Patric Chiha aurait pu faire un film indigent et misérabiliste, il réalise une œuvre à la fois habitée par une démarche sociologique fascinante, une énergie nocturne érotique mais aussi traversée par une mise en scène d’une sidérante beauté. Car à la place de simplement filmer ses protagonistes en train de travailler ou d’arbitrairement leur demander de suivre ses désirs de réalisateur, il leur délègue le pouvoir de la mise en scène. Avec ce film mêlant une réalité sociale jamais trahie avec une théâtralité outrancière qui rappelle l’esthétique des pièces de Jean Genet ou des photographies de Pierre et Gilles, il pousse l’art du portrait documentaire vers de nouveaux horizons. L’édition DVD du film est accompagnée d’un entretien exclusif avec le réalisateur.
https://www.youtube.com/watch?v=8-3FrwPlTtk
L’Enfer d’Henry George Clouzot de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea (2009) – Lobster Films
Dans l’imaginaire cinéphile, L’Enfer (1964) d’Henry George Clouzot occupe une place particulière. Alors au sommet de sa carrière, le réalisateur français se lance dans un ambitieux film au croisement de l’expérimentation visuelle et d’une narration classique. Le film devait raconter la jalousie dévorante qu’un patron d’hôtel (Serge Reggiani) ne peut s’empêcher d’éprouver en vivant avec sa belle et jeune femme (Romy Schneider au sommet de sa beauté). Clouzot dispose pour ce film d’un budget illimité, d’une réputation à l’époque intouchable et de deux grandes stars. Sauf qu’au bout de trois semaines de tournage, il est victime d’un infarctus. La machine s’enraille alors doucement, les problèmes s’accumulent et le projet s’enlise à cause, dit-on, de la folie des grandeurs de son auteur. Le film avorté, 13 heures de rushs sont conservées et le scénario est rangé au fond des tiroirs d’Inès Clouzot, veuve du réalisateur français qui avait jusque-là toujours refusé de le dévoiler au grand public. A la faveur d’un ascenseur bloqué, Serge Bromberg, restaurateur et chasseur de films disparus, est parvenu à la convaincre de lui confier le précieux scénario. Il en a tiré ce film, César du meilleur documentaire en 2010 et réédité ce mois-ci, qui mélange donc images du film inédites avec les séquences dialoguées manquantes interprétées le plus sobrement possible par Bérénice Bejo et Jacques Gamblin. Découpé en deux parties, l’une qui tente de restituer le film et l’autre qui fait la narration d’un tournage cauchemardesque par l’intermédiaire des collaborateurs de Clouzot, ce DVD et Blu-ray est accompagné de plusieurs bonus comme par exemple un livret de 28 pages et un long entretien avec Serge Bromberg.
Coffret Dreyer – Potemkine
Ce beau coffret rassemble quatre des cinq films parlants de l’immense réalisateur danois (Vampyr, 1932, Jour de colère, 1943, Ordet, 1955 et Gertrud, 1964) et l’un de ses films muets sorti quelques années plus tôt (Le Maître du logis, 1925). Couvrant plus de 50 ans de cinéma, Carl Theodor Dreyer est l’un des rares réalisateurs a avoir parfaitement négocié le virage du parlant. Son influence sur le cinéma est immense. Fait d’audaces formelles, d’un langage cinématographique d’une cohérence folle, d’héroïnes tragiques et d’une perfection plastique époustouflante, son cinéma ne cesse de questionner la possibilité du mystère que cela soit celui de la foi, du fantastique ou de l’amour, dans un monde dominé par le rationalisme. Les films remastérisés en HD DVD et Blu-ray sont assortis d’une série de bonus : des entretiens avec de grands cinéastes (Olivier Assayas, Gaspard Noé, Arnaud Desplechin et Arnaud des Pallières), des commentaires du maître en personne, le documentaire qu’Eric Rohmer lui a consacré ainsi que des images censurées de Vampyr.
La Planète sauvage de René Laloux (1973) – Arte
Résultat de la restauration entamée l’an dernier avec le concours du CNC, cette édition DVD et Blu-ray redonne tout son lustre à l’un des films d’animation les plus marquants de l’histoire du genre. S’adressant aussi bien aux enfants qu’aux adultes, cette fable pacifiste mais néanmoins non-dénuée d’une certaine cruauté nous plonge dans un univers imaginaire où les humains sont devenus les jouets d’immenses humanoïdes colorés. Adapté d’un roman de science-fiction, La Planète Sauvage, Prix Spécial du Jury à Cannes en 1973, est la plus belle illustration de la technique du papier découpé qui permet de sublimement dépeindre ce monde surréaliste et fantasque. Arte a été généreux puisque vous retrouverez toute une série de bonus : un documentaire de 26 minutes sur la création du film, 3 courts-métrages de René Laloux, un livret de 12 pages et d’autres choses encore.
Loving de Jeff Nichols (2017) – Studio Canal
Après le trépidant et fantastique Midnight Special (2016), nous n’attendions pas forcément Jeff Nichols sur un sujet aussi mélodramatique et classique. Au cœur de l’Amérique raciste de la fin des années 60, Loving raconte la lutte d’un couple mixte (interprété par Joel Edgerton et Ruth Negga) qui doit se battre contre le gouvernement de son Etat qui punit leur union « inter-racial ». Si le registre change, le talent du réalisateur et son obsession pour la thématique de la protection de la famille demeurent d’un film à l’autre. Ce mélo au canevas en apparence convenu est sublimé par l’infinie délicatesse de Jeff Nichols, à tel point que Loving donne le sentiment d’un petit miracle, d’une osmose bouleversante entre un matériau réel (le film est inspiré d’une histoire vraie), des interprètes d’une justesse prodigieuse et un metteur en scène dont la sobriété et la capacité à distiller les affects témoignent d’une maturité étincelante.
https://www.youtube.com/watch?v=v3ztpBTrDY4
La dixième victime d’Elio Petri (1965) – Carlotta
A mi-chemin entre Hunger Games, American Nightmare et Austin Powers, La dixième victime est une curiosité à plus d’un titre. Tout d’abord son récit est assez avant-gardiste pour l’époque ; le film prend la forme d’une dystopie où des chasses à l’homme sont régulièrement organisées par le gouvernement italien afin de canaliser la violence des citoyens. Si un participant survit à dix chasses consécutives (cinq comme proie et tout autant comme prédateur), il devient alors riche et célèbre. Le film vaut également pour son improbable duo d’acteurs ; un Marcelo Mastroianni peroxydé alors au sommet de sa gloire et une Ursula Andress à jamais immortalisée en James Bond Girl dans Docteur No (1962). Enfin, le ton foutraque et psychédélique de La dixième victime en font une satire sociale immorale et jouissive sur le désir de violence mêlé au sexe et à la célébrité. La magnifique restauration 2K de Carlotta vaut vraiment le coup d’oeil mais en regrettera en revanche les bonus qui se limitent à la seule bande-annonce du film.
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