Près de 50 ans après le chef d’œuvre de Tobe Hooper, la saga gore revient sur Netflix avec un “requel” a priori plus conforme au matériau d’origine que les nombreuses suites qui ont lentement terni la franchise. Une bonne pioche ?
C’est devenu une tendance de fond du cinéma horrifique contemporain, popularisé par Halloween en 2018 et entériné par Scream en janvier dernier : le recours au “requel” (néologisme marketeux désignant un film à mi-chemin entre le remake et le sequel) s’est imposé comme le modus operandi privilégié de cinéastes-laborantin·es, chargé·es de trouver la formule magique capable de réinventer des franchises cultes du panthéon horrifique, bien souvent engluées dans des suites à répétition sans queue ni tête.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’objectif est double : d’abord renouer avec l’origine mythologique de la saga, pour faire oublier les errances de suites numérotées confinant parfois à l’absurde, ensuite réemployer des personnages et comédien·nes cultes du film original, pour faire souffler sur l’entreprise un vent de nostalgie cajoleur.
Le chef d’œuvre de Tobe Hooper, sorti en 1974, n’échappe pas à la tendance, et c’est sous l’égide de Netflix que l’on découvre, après sept suites aux infortunes diverses, le dernier-né de la mouvance des requels horrifiques, sobrement titré (comme le veut l’usage) Massacre à la tronçonneuse. Et pour une fois, le contrat est (presque) rempli.
Gentrification
Ce ne sont plus cinq hippies naïf·ves, perdu·es dans la campagne texane, qui deviendront les victimes horrifiées et longtemps impuissantes de Leatherface, le boogeyman tronçonneur au masque en peau humaine, mais un groupe d’influenceurs et influenceuses venu·es d’Austin, Texas (havre progressiste au sein d’un état profondément réactionnaire), pour transformer la ville fantôme d’Harlow en une entreprise utopique mêlant galeries d’art, resto vegans et boutiques de comics.
Au fond, le film de David Blue Garcia, coécrit par Rodo Sayagues et Fede Álvarez (à qui l’on doit déjà le reboot de Evil Dead en 2013), transpose et grossit la charge politique du film original pour la mettre au goût du jour. Le film de 1974 saisissait, avec cynisme et même un soupçon de malice, la fin du rêve hippie en transformant cinq jeunes chevelu·es, issu·es de la contre-culture et des mouvements contestataires des années 1960-1970, en chair à saucisse pour un boucher sanguinaire, chantre monstrueux de l’Amérique profonde et malade, repliée sur elle-même loin des vents libertaires qui soufflaient sur les côtes.
Ce Massacre 2022 radiographie cette même fracture entre deux Amériques : d’un côté celle de jeunes citadin·es capitalistes devenu·es reines et rois d’Instagram, hérauts de la gentrification et amateur·trices de cafés latte, de l’autre ce coin déshérité des États-Unis, farouchement raciste et profondément hostile, aux relents d’huile de moteur et de trumpisme, où flottent encore des drapeaux confédérés.
Deux Amériques
Leatherface n’est rien d’autre que le point de rencontre explosif entre ces deux Amériques irréconciliables, une engeance monstrueuse née de cette guerre fratricide et ininterrompue depuis deux siècles, un ange exterminateur (et tronçonneur) venu rétablir la justice entre une Amérique tantôt libertaire (celle des années 1960-1970), tantôt rutilante (celle des années 1980 et du règne des yuppies, victimes de Leatherface dans Massacre à la tronçonneuse 2) et une Amérique pouilleuse, désaxée, oubliée, capable d’engendrer le pire.
À ceci près que ce Massacre 2022, dans un jeu de bascule en vogue dans les productions horrifiques contemporaines, transforme le bourreau en victime, faisant du boogeyman diabolique un lonesome cowboy sympathique, porte-voix des laissé·es-pour-compte, garant des valeurs traditionalistes d’une Amérique carnassière, forcé de reprendre du service face à la gentrification qui guette son royaume moite et purulent. De quoi en faire un film réac ? Pas vraiment, car comme dans le film de Hooper (lui-même hippie et pur produit de la contre-culture), la charge subversive propre au genre se déploie justement dans ce jeu de massacre obscène, à la lisière de l’acceptable, et la frontalité brute du propos, aussi bizarrement cathartique que moralement trouble.
Défouloir
Passée cette mise à jour habile, Massacre 2022 consiste surtout en un défouloir gore à la mise en scène parfois virtuose mais aux scènes de découpes franchement putassières. Le film de Hooper était un chef d’œuvre d’économie gore, jouant avec le hors-champ, le son et une ambiance moite et étouffante pour inséminer la terreur. Celui de David Blue Garcia mise plutôt sur l’hémoglobine, les jugulaires tranchées et les os brisés, et n’échappe pas à l’inévitable muséification qui guette les requels : outre Leatherface en véritable star du film, on retrouve aussi Sally Hardesty, l’unique survivante du premier film, devenue une ranger texane en quête de vengeance.
Sans jamais tutoyer l’indépassable chef d’œuvre de 1974, ce Massacre à la tronçonneuse version Netflix parvient à réinventer les enjeux du film original en transposant son sous-texte politique à notre époque instagrammée. Mais s’il a la vertu de nous faire oublier les pires épisodes d’une saga qui aura connu les tréfonds de l’essorage de franchise, il ne restera pas pour autant dans les annales du cinéma d’horreur.
Massacre à la tronçonneuse de David Blue Garcia, avec Sarah Yarkin, Elsie Fisher, Mark Burnham (É.-U., 1h23, 2022). Sur Netflix.
{"type":"Banniere-Basse"}