Depuis qu’il est devenu le nouveau visage de Peter Parker alias Spider-Man, Tom Holland est passé d’acteur prometteur à véritable symbole d’une nouvelle génération hollywoodienne.
Vu pour la première fois sur scène en 2008 dans le rôle-titre de Billy Elliot dans la comédie musicale, le jeune Britannique a gravi les échelons du star-system, tournant chez Juan Antonio Bayona, James Gray et Jon Watts, au point de devenir une valeur sûre du box-office et la nouvelle coqueluche des héros de blockbusters.
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À l’instar de Timothée Chalamet, son aîné d’à peine quelques mois, Tom Holland est l’une des figures les plus emblématiques de cette nouvelle génération : celle qui brouille encore plus les pistes entre adolescence et âge adulte, entre traditions paternalistes et nouveaux schémas de représentations, suscitant l’idolâtrie virtuelle par la mise en scène de sa vie privée.
Qu’il s’agisse des films dans lesquels il apparaît ou de ce qu’il construit comme image publique, quelle masculinité Tom Holland incarne-t-il ? Et quels sont les normes qu’il détourne ?
L’ambivalence de l’adolescence
S’il est né en 1996, Tom Holland n’en a pas fini avec l’emploi qui l’a révélé : celui de l’éternel adolescent. En 2012, on le découvre dans The Impossible, où il est le fils d’Ewan McGregor et Naomi Watts : son physique gringalet et sa bouille d’enfant contrastent parfaitement avec le courage dont il fait preuve dans l’épreuve de survie que lui et sa famille sont contraints de vivre, subissant de plein fouet l’arrivée d’un tsunami au large de Thaïlande.
Alors qu’il tourne le film entre ses 15 et 16 ans, Tom Holland bénéficie d’une allure enfantine qui le classe dans la lignée de ces enfants débrouillards et aventureux, faisant preuve d’un courage à toute épreuve. Pas étonnant que lui revienne la tâche, cinq ans plus tard, d’incarner le fils de Charlie Hunnam dans The Lost City of Z de James Gray, un film d’aventure au cœur de la jungle amazonienne : déplorant dans un premier temps la quête absurde de son père pour cette fameuse civilisation Z qui l’entraîne à plusieurs reprises aux confins de l’Amérique du Sud, le jeune Jack Fawcett se prend à son tour au jeu de la découverte et suit la lignée de son père.
Dans le film de James Gray, Holland a 19 ans : il joue le rôle de Jack de ses 14 à 20 ans. Pour l’occasion, sa barbe a poussé, son regard s’est assombri, sa mâchoire s’est affirmée ; Tom est devenu un adulte, mais dont le physique a toujours quelque chose de jeune, d’adolescent, de prématuré. Sa baby face contraste radicalement avec Hunnam, dont la peau s’est ridée, les muscles se sont tendus, la voix s’est aggravée.
C’est donc souvent dans des rôles d’apprenti que Tom Holland se distingue, des rôles de passage, que l’âge de l’adolescence redouble parfaitement : ce passage de l’ignorance à la connaissance, de la jeunesse naïve à la désillusion de l’âge adulte, du corps imberbe et maigre à l’épaisseur de celui qui a vécu et traversé des épreuves.
Lorsqu’il reprend le rôle de Peter Parker en 2017 dans Spider-Man: Homecoming, après un caméo dans Captain America: Civil War en 2016, Tom Holland effectue certes un virage en matière d’industrie, devenant un employé de la superproduction Marvel, mais conserve cette image d’adolescent : là où Tobey Maguire avait 27 ans à la sortie du Spider-Man de Sam Raimi en 2002, le jeune Holland n’a lui que 20 ans lorsqu’il tourne le premier épisode de sa trilogie. Son Peter Parker est un lycéen frêle et nerd, là où celui de Maguire se rapprochait davantage de l’université, de la vingtaine, avec les problématiques qui vont avec.
Comme l’a décrié Steven Soderbergh récemment, “personne ne baise” dans les Marvel : derrière cette provocation, c’est le classicisme voire le puritanisme dont font preuve les scénarios de films de super-héros qu’a soulevé le réalisateur de Sexe, mensonges et vidéo (1989). Évacuant la question de la séduction, les films Marvel rendent difficile la possibilité de questionner le genre de leurs héros et les archétypes qu’on y associe, et ce n’est pas l’intéressé lui-même qui va dire le contraire : interrogé à propos de la vie sexuelle de son héros, il a simplement réagi avec un honnête “ça n’est pas approprié, nous sommes de jeunes gens”.
Difficile également de parler de masculinité à propos d’un adolescent : l’adolescence, c’est l’âge des possibles, celui des variations identitaires, où l’on se cherche, s’explore, change. La virilité dont Tom Holland est l’héritier dans les films cités plus haut est remise en question par la simple présence d’un corps jeune : les codes imposés aux rôles de Charlie Hunnam dans The Lost City of Z, de Chris Evans dans Captain America ou même de Mark Wahlberg dans Uncharted (2022) semblent trouver chez Holland à la fois un héritier et un dissident.
Mais peut-être au contraire que toute la subversion est là : cette fluidité identitaire que l’acteur dégage permet de jouer à la fois sur les codes de masculinité adulte tout en jouant du polymorphisme propre à l’adolescence, de sortir du schéma classique de l’enfant évoluant en brute masculine et muette. Sa démarche vive et son regard rieur, sa façon de bondir plutôt que de tout raser sur son passage, participent d’un vécu du corps masculin comique et léger plutôt d’un corps sérieux et robuste, dessinant les contours d’une nouvelle masculinité.
Chalamet et Holland : bad boy et nice guy
Concernant sa personnalité publique, Tom Holland est beaucoup moins aventureux dans son style qu’un Timothée Chalamet : ce dernier aime créer l’événement lorsqu’il foule les tapis rouges, arborant des mailles transparentes signées YSL, des gilets en sequin ou des motifs floraux. Tom Holland incarne un classicisme à l’anglaise, dans le parfait cliché du gendre idéal adepte des good manners : son look de gentleman se ressent dans ses costumes trois pièces impeccablement taillés, sobres, ses lunettes carrées comme sa mâchoire rasée de près, que l’on retrouve dans l’esthétique de la campagne Prada dont il est l’égérie. Il préfère le sourire en coin, charmant et charmeur, au regard en contre-plongée de l’acteur de Call Me By Your Name.
En ce sens, Tom Holland incarne tout ce qu’on attend d’un jeune premier : on sent en lui un potentiel de James Bond, à la fois classe et aventureux, bourgeois et virevoltant. Il n’a pas l’aura mystérieuse de Chalamet, ce côté bad boy de poète maudit, ou même fluide dans sa sexualité. Comme si ce rôle un peu à côté des standards était déjà devenu obsolète, et qu’il s’agissait désormais de revendiquer une simplicité et un classicisme dans l’allure.
Lorsque Chalamet a préféré jouer dans Dune, que l’on pourrait qualifier de “cryptofilm de super-héros”, Holland fonce droit avec sa réappropriation de Peter Parker dans les plus gros films d’action de l’année – pour rappel, Spider-Man: No Way Home est le plus gros succès de Marvel en France. Mais choisir de rentrer dans le MCU par la porte Spider-Man n’est pas anodin : à l’origine, Parker est plutôt un “boloss”, un geek timide et passionné de science, sans aucun potentiel sexuel. Une sorte de nice guy plutôt naïf qui développe subitement des capacités physiques incroyables et sort ainsi de l’adolescence : une fois de plus, Holland incarne un parcours qui va de la jeunesse mal dans sa peau à un âge adulte plein de responsabilités.
C’est ainsi qu’en 2021 sort Cherry, dernier film en date des frères Russo, qui avaient réalisé en 2016 Captain America : l’histoire d’un soldat anglais de retour d’Irak, atteint de stress post-traumatique, qui sombre peu à peu dans la drogue au point de commettre un casse pour financer sa consommation. Rien de tel pour casser l’image marvélienne angélique de Tom Holland : lui faire jouer un anti-héros, addict et criminel, rappelant par là le choix quelques années plus tôt de Timothée Chalamet de jouer le rôle d’un jeune accro aux méthamphétamines dans My Beautiful Boy de Felix Van Groeningen.
Mais le film des frères Russo est mal reçu par la critique, notamment aux États-Unis, qui reprochent au film ses velléités iconoclastes. Variety parle d’un rôle à la “regarde-mon-côté-badass-à-l’opposé-des-prouesses-héroïques-de Spider-Man” : la critique souligne le manque de prise de risque dont fait preuve l’acteur, comme si, même dans un rôle aussi marginal, il conservait une sorte de douceur, voire de platitude. L’article se conclut par une pique : “C’est la différence entre un bon garçon de chez Marvel et un bad boy à la Sean Penn.”
Enfin, Tom Holland n’est pas un sex-symbol, qu’il s’agisse de son image dans les films (on fait plus attention à ses performances physiques ou morales qu’à la forme de son corps et son pouvoir de séduction) ou de son image publique, alors qu’on le sait en couple avec Zendaya. En revanche, Timothée Chalamet a déclenché un véritable phénomène chez les jeunes femmes, de Jennifer Lawrence aux adolescentes américaines, manifestant un sex-appeal évident. La masculinité de Tom Holland se joue à un autre endroit : dans cette façon de montrer ses émotions sans retenue, qu’il s’agisse de son amour ou de son humour ; dans celle aussi d’incarner des rôles de héros que l’on sous-estime et qui se révèlent être salvateurs à leur manière, sans passer par une métamorphose physique ; enfin, dans sa manière de s’inscrire dans le sillon des générations plus âgées en matière de masculinité, tout en y échappant toujours.
Peut-être que la masculinité de Tom Holland se démarque des autres en ceci qu’elle est plus innocente, moins affirmée voire revendiquée dans ses rôles, valsant entre les jeunes puceaux sur le point d’éclore et les aventuriers désexualisés : une masculinité où le cute l’emporte face au sex-appeal, où les relations amoureuses témoignent d’une forte amitié plutôt que d’une tension sexuelle.
Tom Holland et Zendaya : le power couple du moment
Impossible de passer à côté : c’est le power couple du moment, hyper médiatisé, relayé sur tous les réseaux, d’autant qu’ils partagent l’écran dans la série des Spider-Man. Certains comptes Instagram sont dédiés au décryptage des élans de l’un envers l’autre, des regards en coin qu’ils se lancent lors des photocalls. Le power couple ne date pas d’hier : qu’il s’agisse de Johnny Depp et Winona Rider dans les années 1990, Brangelina dans les années 2000 ou même Jay-Z et Beyoncé depuis plus de 15 ans, ils ont la particularité de mettre en scène des artistes au succès écrasant, affichant un amour totalement désintéressé aux yeux du public.
Mais la différence avec Tom Holland et Zendaya est ce qu’ils font de leur couple : là où ceux cités précédemment s’inscrivent dans le schéma patriarcal classique de l’homme protecteur et charmeur et de la femme sexy et éperdument amoureuse, Tom Holland et Zendaya renversent d’une certaine manière ces clichés. Généralement, c’est lui qui affiche un amour total envers sa petite amie, le regard toujours focalisé sur elle ou à sa recherche. La différence de taille, que les deux s’amusent à commenter par le biais d’anecdotes sur les plateaux télé, est également un élément assez rare pour être noté.
Les apparitions publiques promotionnelles du couple sont toujours très spectaculaires : à l’occasion du jeu Lip Sync Battle, Tom Holland a livré une performance magistrale de Umbrella de Rihanna : tout de cuir vernis vêtu, affichant des poses ultra sexy, twerkant de toute sa force sur un sol couvert d’eau, l’acteur déchire en moins de deux minutes la charte du super-héros viriliste à laquelle il semblait souscrire jusqu’alors. Il va même jusqu’à alpaguer Zendaya, déguisée en Bruno Mars, finissant de renverser les codes attachés au couple hétérosexuel : la performance tire néanmoins vers la prestation musculaire énervée plus que vers la parade sensuelle, en témoigne la ronde des danseurs énergiques qui l’accompagnent.
On se rappelle Channing Tatum déguisé en Beyoncé sous les yeux de sa femme Jenna Dewan, dansant fièrement sur Run The World : mais là, c’est en guise de blague que le comédien bodybuildé arbore une perruque décolorée, allant jusqu’à faire venir la vraie Beyoncé pour une battle d’anthologie. À l’inverse, la performance de Tom Holland a quelque chose de sérieux et de très vraisemblable, qui a la vertu de renverser des stéréotypes : personne ne doute de la virilité de Channing Tatum, c’est même pour cette raison qu’il se permet de danser sur du Beyoncé. De son côté, Tom Holland est suffisamment fluide et discret dans ce qu’il expose de sa masculinité pour se glisser dans cette position avec un déconcertant sex-appeal, loin des codes virils.
Une autre caractéristique de l’image publique de Tom Holland, qui touche à peu près tous les sex-symbols masculins d’Hollywood, est la récupération par l’imaginaire homosexuel : pour Chalamet, le glissement était évident étant donné son rôle dans le film de Luca Guadagnino. Pour Tom Holland, on retrouve de nombreux memes où Spider-Man vit une aventure torride avec Iron Man, Doctor Strange ou Captain America, dans le schéma stéréotypé du daddy et de son minet, autrement dit un twink.
Le visage doux et juvénile de Holland se prête parfaitement à ce type de raccourcis, nourrissant les fanfics les plus ridicules dans la communauté geek-gay. Sans jamais se départir de cette image de jeune éphèbe, Holland conserve néanmoins cette capacité à entrer dans le costume viril quand bon lui semble, glissant entre les identités et les différents degrés d’érotisme – tantôt ersatz d’Indiana Jones, tantôt jeune garçon innocent.
Cette pansexualisation de la figure du jeune premier est classique à Hollywood : en témoignent les auras LGBT qui entourent River Phoenix et Leonardo Di Caprio, et si l’on remonte à l’âge d’or, James Dean, Marlon Brando et Montgomery Clift. Tom Holland appartient à cette catégorie.
Un virage de carrière ?
Si l’on est habitué à voir ces figures d’acteurs émerger depuis des dizaines d’années, alternant blockbusters (Titanic pour DiCaprio ; Indiana Jones pour River Phoenix) et films indépendants (Danny Boyle et Woody Allen pour le premier ; Sidney Lumet et Gus Van Sant pour le second), la carrière de Tom Holland semble pour le moment relativement conventionnelle et unilatérale : ses premiers rôles ont été chez Bayona et Gray, et on l’a récemment entendu déclarer son amour pour le cinéma de Bong Joon-ho.
Ses débuts dans le rôle de Billy Elliot promettaient un destin à contre-courant du machisme testostéroné de Hollywood, mais les dernières années ont opéré un virage dans sa carrière : entre la saga Spider-Man et l’adaptation du jeu vidéo Uncharted sortie le 15 février, difficile d’apercevoir l’espoir d’une variation dans ses rôles. Car tout jeune premier est amené à vieillir et changer d’image : DiCaprio a drastiquement changé tant dans son physique que dans ses rôles, notamment grâce à ses collaborations avec Steven Spielberg et Martin Scorsese dans les années 2000, tandis que Johnny Depp, découvert à la télévision puis dans les films de John Waters et de Jim Jarmusch, a préféré s’associer à Disney pour composer l’ambivalent Capitaine Jack Sparrow dans la série des Pirates des Caraïbes.
Peut-être alors que cette transformation de lui-même et des codes attribués aux jeunes hommes dans les films d’action super-produits arrivera à l’intérieur même de ce carcan assez stéréotypé : dans Uncharted de Ruben Fleischer, Holland se fait l’héritier d’un patrimoine masculin que l’on n’attendait pas. Il est plus jeune que le rôle initial de Nathan Drake, et par conséquent s’inscrit moins dans des codes de virilité que la version vidéoludique originale… En outre, il partage l’affiche avec Mark Wahlberg, qui correspond à une version plus classique de cette image de l’aventurier sans peur et sans reproche : Tom Holland est-il la figure de ce nouvel aventurier, moins tourné vers la performance athlétique ou guerrière et plus enclin au jeu, au détournement des stéréotypes hétéronormés, à la fluidité du corps et du genre ?
L’avenir nous le dira : Tom Holland a été choisi pour incarner le danseur et comédien Fred Astaire, cinquième plus grand acteur de tous les temps selon l’American Film Institute. Quel virage plus remarquable que de passer de l’incarnation d’un Indiana Jones de jeu vidéo aux claquettes et aux valses élégantes du plus grand danseur du cinéma américain ? Le jeune Holland semble se satisfaire de cet écartèlement entre différentes représentations de la masculinité : la modernité de son geste est peut-être là, dans l’aisance et l’appétit qu’il montre à passer d’une forme de masculinité à une autre, dans la réinvention constante de son corps et de ses modèles.
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