Anti-académiques, non hiérarchiques et un peu sorcières, au Centre Pompidou-Metz, les formes artistiques et pédagogiques font front commun contre les postures d’autorité, tout en renouant avec leurs racines historiques des années 1960-1970.
Quelques mois avant que n’ouvre, au Centre Pompidou-Metz, la fresque collective L’Art d’apprendre, la salle de classe s’imposait déjà comme décor. C’était à Genève, au fil des chambres en enfilade de l’édition 2021 de la Biennale Image Mouvement. Un premier décor, bureaux individuels, tapis scandinaves et bois clair, accueillait la vidéo Couture Critiques (2021) de Mandy Harris Williams, soit Edward Said adapté au langage de la génération Z. Un autre, intégralement recouvert de griffonnages des murs au plafond, poufs blancs y compris, était dédié à la mini-série Circle Time (2018) du collectif Dis.Art, cette fois à destination des enfants.
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Cet exemple, pris dans l’actualité récente des expositions, est à l’image de l’actuel retour au premier plan des formats éducatifs pensés par des artistes. Ce sont des œuvres en soi, mais qui, s’adressant plus directement à un public directement interpellé et convoqué, sans forcément passer par la médiation de l’institution artistique qui les accueille, tirent de ce dialogue direct l’ambition de repenser la participation et l’inclusion, les prémices utopiques et la charge sociale de l’art – dès lors, forcément transdisciplinaire, participatif, délesté de son orthodoxie historique tout autant que de son axiologie héritée.
Faire ses classes autrement
Au Centre Pompidou-Metz, l’exposition L’Art d’apprendre rassemble plus d’une soixantaine d’artistes, duos d’artistes ou collectifs, tels que rassemblés thématiquement au fil de six chapitres – Créer, Dire, Agiter, Programmer, Chercher, Maintenir –, prolongés par une invitation à trois classes en résidence au sein de l’environnement d’Ecoletopie du studio de design Smarin, une signalétique déployant les grands moments de l’exposition au fil d’une douzaine de planches dessinées par Nayel Zeaiter et un atelier d’imprimerie autour des notions de pédagogie alternative et d’autonomie mené par Marie Preston.
Tout en pratiquant le regard situé, son cœur électif est historique. L’ensemble réuni par la commissaire d’exposition Hélène Meisel élit pour cible les années 1960-1970 et leurs résonances. On perçoit, en toile de fond et comme figures gardiennes, l’impact de pratiques et théories de l’éducation telles que développées par Maria Montessori, Célestin Freinet ou Paulo Freire, tout autant que la refonte de l’enseignement de la période de l’après Seconde Guerre mondiale, pris d’un élan d’éveil des consciences de citoyen·nes nouvelles·eaux pacifistes, cosmopolites et dotés d’esprit critique.
Performance, poésie, participation
Mais l’exposition trouve véritablement sa matière dans l’interrelation entre formes artistiques et formes pédagogiques. Ainsi, il ne s’agit pas, plus lâchement, de faire rentrer l’art – et il faudrait encore définir lequel, et désigné ainsi par qui – dans les salles de classe, mais plutôt de repenser des rapports non hiérarchiques entre artistes et publics, enseignants et élèves, tout en ouvrant sur les communautés et les modèles interactionnels ainsi créés. Pour cette raison, le ludique est en grande partie absent : il en va, au contraire, de prendre l’autre, et toute altérité quelle qu’elle soit, au sérieux, et d’inclure également ses représentations, revendications ou plus largement la voix des subalternes.
Apprendre est un jeu, mais aussi un pari social. Les artistes de l’époque en question l’ont bien compris, eux qui, aux côtés de la performance naissante, maintenaient l’éducation comme forme artistique nouvelle. Ainsi de Robert Filliou, figure centrale du début du parcours, qui entre 1967 et 1970 se dédiera au livre collaboratif Enseigner et Apprendre. Arts vivants. Dans les espaces, le livre, qui prône l’élargissement de l’invention contre le primat de la composition, tel qu’établi dans les milieux d’avant-garde – Duchamp, Klein, Cage, Giorno ou Warhol –, dialogue avec les projets de la même époque d’Allan Kaprow et Herbert Kohl, ou encore de Joseph Beuys.
Construire ses lieux, produire l’autonomie
Quelques décennies plus tard, la créativité libérée se retrouve en tant qu’autodidaxie du côté des artistes des années 1990, chez Pierre Joseph qui, au Japon, décide d’“apprendre en faisant” au fil d’une série de vidéos le montrant en train d’apprendre seul la planche-voile, la langue ou l’anatomie, ou encore au sein de l’“école temporaire” (Temporary School, 1996) de Pierre Huyghe, Philippe Parreno et Dominique Gonzalez-Foerster, manuel pour une école nomade dont la documentation vidéo ne produirait aucune valeur de surplus, ni pour le travail, ni pour les expositions.
La redéfinition de communautés fondées sur d’autres liens que ceux du travail, de l’emploi ou de la rétribution monnayée est l’un des autres grands axes discursifs qui parcourt l’exposition et infuse chacune des sous-sections. Si le baby-boom d’après-guerre conduit à penser une éducation de masse, à destination d’une économie, qui, elle aussi, promet le plein emploi et entame son virage post-fordiste, les stratégies face à la nouvelle donne varient.
Certain·es préfèrent œuvrer du dedans et réorienter le cours des structures existantes (l’aventure de l’université de Vincennes, initiée en 1968 et intégrant dès 1970 un atelier de sérigraphie) ou au contraire créer leur propres écoles (Doris Stauffer à Zürich qui, faisant sécession avec l’École des arts appliqués, cofonde en 1970 l’École Couleur+Forme pour une création expérimentale, “cours de sorcière” compris au cursus dès 1977). Au sein d’un parcours à l’érudition minutieuse irradient les utopies concrètes de modèles sociaux alternatifs, tels qu’expérimentés et préfigurés depuis les lieux de créativité – les écoles d’art, les instituées comme les autonomes, les non-écoles tout comme les utopiques.
L’Art d’apprendre. Une école des créateurs, jusqu’au 29 août au Centre Pompidou-Metz.
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