Pontifiants, Joy Sorman et François Bégaudeau accumulent les clichés autour de la “jeunesse”. Pour dire quoi ? Qu’ils sont trop, trop cool.
« Il y a donc comme une gageure, pour un livre écrit par deux adultes, à cerner une jeunesse que caractérise sa capacité à désarmer la compréhension des plus vieux. Au moins le ratage programmé de ce livre sera-t-il la preuve de son postulat.” Outre leur lourdeur stylistique, reconnaissons au moins à François Bégaudeau et Joy Sorman une certaine lucidité. Leur essai (?) Parce que ça nous plaît – L’Invention de la jeunesse est en effet un beau plantage, aussi lénifiant qu’agaçant.
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Comme dans toute bonne rédaction, les romanciers presque-quadra-mais-tellement-cool, tous deux anciens profs, déroulent leur définition de la jeunesse dans un rigoureux plan en trois parties. Pour faire encore plus sérieux, ils émaillent leur propos d’un galimatias pseudo-philosophico- sociologique (“Le raisonnement par causalité est toujours une symptomatologie”) et d’un tas de références savantes : Bourdieu, Badiou, Deleuze, Debord… n’en jetez plus. Mais parce qu’ils sont restés super jeunes dans leur tête, ils ne sont pas non plus les derniers pour la galéjade et étalent allégrement leur culture djeuns (Judd Apatow, Shy’m ou, comme mentionné dans l’annexe, Benoît Cauet au lieu de Sébastien, une erreur inadmissible).
Mais au-delà du ton prétentieusement ricanant, il y a le propos en lui-même. Même si Bégaudeau et Sorman ne sont pas toujours à côté de la plaque, leur approche “du” jeune se distingue assez peu de ce qu’on peut lire dans les news magazines – les lolitas, les adulescents, la précarité, le jeunisme –, sans autre mise en perspective que quelques rappels historiques. En réalité, ils évoquent moins la jeunesse en général que la leur en particulier, cet âge d’or où ils pogotaient comme des fous sur les Bérurier Noir et mataient des films porno en cachette.
En creux, leur objectif ne semble pas de dire ce qu’est la jeunesse, mais de montrer à toute force qu’ils en font encore partie et qu’ils ne sont pas près de passer du côté obscur puisqu’ils vénèrent toujours la sainte trinité danse-déconne-défonce, quintessence, à les lire, du plus bel âge.
Toujours cette volonté un peu puérile de se démarquer à tout prix, déjà présente dans Entre les murs chez Bégaudeau (non, je ne suis pas un prof comme les autres) et dans Boys, Boys, Boys chez Joy Sorman (je suis une fille différente ; je ne traîne qu’avec des mecs). “Narcisse modernes” autoproclamés, leur déclaration d’amour à la jeunesse ne s’adresse en fait qu’à eux-mêmes.
Il aurait donc sans doute été plus honnête de leur part de se livrer clairement à un récit de leurs vertes années. Peut-être plus pertinent aussi. Car à vouloir à tout prix analyser la jeunesse comme une entité à part, un bloc monolithique, on court le risque de la réduire à une simple catégorie sociologique, type “CSP+” ou “profession libérale” ou, comme chez Bégaudeau et Sorman, d’en faire une valeur de référence sur laquelle on projette tous les fantasmes.
On a tendance aujourd’hui à vouloir figer la jeunesse à grands coups de concepts creux qui agissent comme du Botox, à ne l’appréhender que comme une représentation, une image, idéale ou diabolisée selon les cas, alors qu’il s’agit d’un état transitoire, d’une réalité forcément mouvante. D’ailleurs, L’Attrape-Coeurs de Salinger, le grand roman de l’adolescence, n’est autre que l’histoire d’une fugue. Au risque de passer pour un “vieux con”, disons que la littérature ou le cinéma (les films de Gus Van Sant ou de Larry Clark) saisissent mieux que n’importe quelle glose le coeur de la jeunesse.
Parce que ça nous plaît – L’invention de la jeunesse (Larousse), 272 pages, 17€
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