“Avec Amour et acharnement” et “Coma” : Claire Denis et Bertrand Bonello signent deux très beaux films, dans lesquels le Covid-19 n’est jamais bien loin.
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Deux ans après le déclenchement d’une catastrophe sanitaire dont nous ne sommes pas encore sorti·es, on peut désormais envisager les films dans la façon dont ils ont choisi de prendre acte ou au contraire d’ignorer radicalement le contexte sanitaire de leur éclosion.
Alain Guiraudie a choisi par exemple d’épargner sa France, déjà traversée par beaucoup de turbulences contemporaines, du Covid-19 (tout au plus, une réflexion d’un personnage sur les coupes budgétaires à l’hôpital résonne aux conditions dégradées avec laquelle le pays a fait face à l’épidémie). D’autres cinéastes, qui ont écrit pendant le premier confinement, au contraire, intègrent la pandémie à leur fiction. C’est le cas par exemple de Claire Denis dans Avec Amour et acharnement, présenté ce samedi 12 février, en compétition. D’autres encore puisent leur matière dans la situation sanitaire et déploient une forme dont chaque ramification résonne avec l’expérience folle que nous avons vécue collectivement. C’est le cas de Bertrand Bonello avec Coma, présenté à la section parallèle Encounters. Deux beaux films faits avec ou depuis la pandémie ; deux films d’intérieurs et d’enfermement.
Avec Amour et acharnement : une histoire d’amour sous la menace
Avec Amour et acharnement est né dans un court-circuit : le report d’un autre film que Claire Denis devait tourner en Amérique du Sud avec Robert Pattinson et dont la préparation a été stoppée par le premier confinement. C’est durant cet arrêt que son producteur, Olivier Delbosc, a incité Claire Denis à mettre ce délai à profit et à concevoir dans un temps très court, un autre film, en retrouvant celle avec qui elle avait écrit Un Beau Soleil intérieur (2017), Christine Angot. Adapté d’Un Tournant de la vie (2018), Avec Amour et acharnement raconte lui aussi un court-circuit : la façon dont une existence conjugale paisible est soudain perturbée par le resurgissement d’un ancien amour. Sur une trame extrêmement banale, qu’aucun rebondissement dramatique ne cherche à rehausser, Claire Denis réussit un pur film d’angoisse, que l’utilisation des masques, la référence récurrente à la maladie ne cesse d’amplifier. Quelque chose de pathogène rôde. La reprise d’une liaison ancienne tient de la rechute. Certains attachements amoureux sont comme des maladies.
Avec Amour et acharnement est vraiment un très grand film de mise en scène. Dès le stupéfiant premier plan (un couple de loin et à contre-jour debout dans la mer, cela semble anodin et pourtant l’image nous happe instantanément), les cordes de Stuart A. Staples, les réverbérations de la mer, le découpage parfois dissonant d’une simple scène de dialogue, les mots scandés plusieurs fois, propres à la musicalité de la langue de Christine Angot, tout concourt à donner une force expressive inouïe à cette histoire d’amour sous la menace. Et plus de toute la puissance d’incarnation de comédien·nes à leur meilleur : Vincent Lindon n’est jamais aussi touchant que lorsqu’il articule un peu d’enfance à sa puissance physique granitique ; Grégoire Colin, duplice et vorace, est le visage même du tourment ; et Juliette Binoche renverse tout en amoureuse dans le déni, passant par mille nuances de la panique à l’assurance feinte, et dont la carrière pourtant très riche, ne lui avait pas si souvent donné l’occasion de travailler à ce point dans le détail toutes les métastases de la pathologie amoureuse.
Coma : un grand film de confinement
Coma : le titre est sec, ramassé, cinglant. Il est plus qu’évocateur. Résonne avec cet état d’arrêt qui a frappé nos vies, il y a deux ans. Et qui n’était peut-être que la prédiction d’un coma plus profond encore, plus irrémédiable dont notre monde ne se réveillerait jamais. Le nouveau film de Bertrand Bonello est un grand film de confinement. Une adolescente (Louise Labeque) est recluse dans sa chambre car une catastrophe empêche les humains de sortir. De toute façon, le dérèglement climatique fait que la température extérieure atteint 58 degrés, et près de 70 degrés à Nice, comme nous l’apprend dans sa pastille météorologique, l’influente influenceuse Patricia Coma (Julia Faure, inquiétante et drôle).
Condamnées à camper un lieu unique, la fiction et la jeune fille déplient tout un éventail d’autres scènes, oniriques (un rêve insistant dans un lieu où tournoient les âmes), imaginaires (une sitcom de poupées Barbie trash, façon Superstar:The Karen Carpenter story de Todd Haynes, où chaque figurine parle de la voix d’un·e acteur·trice identifiable : Louis Garrel, Vincent Lacoste, Laetitia Casta, Anaïs Demoustier et même, trouble non anticipable, Gaspard Ulliel), ou encore technologiques (dialogues zoom avec un groupe d’amies, partageant la même passion pour les serial killers). Un objet, mis en vente par Patricia Coma, sorte de Rubik’s cube simplifié, joint tous ces niveaux de fiction. Il s’appelle le Révélateur (possible référence à un des plus beaux films de Philippe Garrel, autre récit de claustration et d’oniriques marches en forêt).
Coma clôt probablement un triptyque sur la jeunesse dans l’œuvre de Bertrand Bonello, amorcé avec Nocturama, prolongé par Zombi Child. Y perce l’angoisse et la culpabilité de transmettre un monde très malade, mais la foi aussi dans la capacité de la génération émergente d’y dessiner un chemin.
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