L’ancien chroniqueur de Ruquier a mené ces dernières années et en totale indépendance une carrière captivante après avoir tourné le dos à la télé. Il y met fin dans ce qu’il présente comme son ultime spectacle.
Annoncer sa retraite scénique n’est pas la chasse gardée de Sardou. C’est même une petite mode dans le stand-up de ces dernières années, avec pour exemple marquant le Nanette (2017) de l’Australienne Hannah Gadsby qui, ironie de l’histoire, avait finalement accédé à l’hyper-célébrité précisément grâce à ses adieux à la scène (adieux qu’elle a du coup annulés depuis).
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De la part de Mustapha El Atrassi, le geste peut étonner, car les adieux plus ou moins forcés ont déjà eu lieu. Celui qui fut très précocement une star de la télé dans les talk-shows de Ruquier (On n’est pas couché), d’Ardisson (Salut les Terriens) et d’autres, avant de décrocher sa propre émission (La Nuit nous appartient, sur NRJ 12) puis d’étrangement disparaître, vient pourtant de les faire dans un spectacle intitulé Game Over, qui joue à guichets fermés tout le mois de février au Palais des Glaces avant d’entamer une tournée elle aussi quasi déjà complète.
Résurrection indépendante
Pour tenter de comprendre la démarche de celui qui n’accorde plus aucune interview à la presse, il faut rappeler l’étrange mue qu’il a opérée depuis son départ de la télévision en 2012 (souhaité selon lui, contraint selon sa chaîne). Le geste n’est pas sans point commun avec celui d’un Dave Chappelle en son temps : incompatibilité croissante avec le racisme latent de l’entertainment télévisé, sortie de contrat en forme de divorce définitif, renaissance sous les radars portée par une fan base fervente. Car El Atrassi a ressuscité depuis dans une indépendance totale, remplissant les Zéniths (lors de la tournée de Communautaire, spectacle titré d’après le reproche que la chaîne faisait selon lui à son émission), et radicalisant son style.
Une espièglerie changée en teigne dure
Plusieurs coups de force ont émaillé ces années d’indépendance, parmi lesquels Elle, un très beau documentaire sur sa mère Khadija qu’il a convaincue et aidée à se mettre au stand-up à 60 ans, et une série de spectacles enregistrés au Maroc. Gratuit, +212, Nique sa grand-mère, quasi-bootlegs titrés à la va-vite, filmés dans le même bar, montés peut-être à partir des rushes des mêmes soirées, mélanges de roast du public et d’anecdotes personnelles ancrées dans une expérience de vie intimement franco-marocaine partagée avec un public auquel il s’adresse dans un mélange de français et d’arabe – presque pas tout à fait des spectacles, et en même temps des sommets de l’art, et en tout cas des actes de sécession avec l’Hexagone, ses médias et ce que ces derniers attendent de leurs chroniqueur·euses “poil à gratter” (donc du poil à gratter, mais surtout de la docilité). Et surtout, l’émergence d’un autre humoriste, qui tient sa scène et son public avec une assurance frappante, son ancienne espièglerie télévisuelle s’étant comme calcifiée, changée en teigne dure.
Retour aux origines intimes
Récemment, El Atrassi a passé en privé l’intégralité de sa chaîne YouTube, où ses spectacles étaient depuis plusieurs années disponibles gratuitement. On ignore la raison (une exploitation commerciale prévue ?). Dans le même temps, il annonce donc la tournée de Game Over comme sa dernière. Le spectacle révèle une approche de l’humour qui tend encore à se déshabiller des codes du stand-up pour revenir à une pratique vernaculaire, comme rendue à son origine intime : faire rire la famille, les potes, en reniant ou du moins en masquant totalement l’écriture. El Atrassi énumère les portraits de sa famille, marqués par une folie (une “dinguerie”) qui prête au rire sans cacher pour autant sa part de bien réel dérangement (notamment sur le père).
Le show est quasi dépourvu de chutes, comme un tunnel d’histoires qui n’ont presque plus besoin de la scène. Ne plus du tout chercher à plaire, à ressembler à un humoriste, à répondre aux journalistes (il a coupé le contact depuis plusieurs années), à décrocher une chronique ici ou un spectacle là. Parler, faire rire mais ne plus rien vendre. El Atrassi plie bagage avec une espèce de droiture, une manière d’assumer sa rupture avec le rire comme divertissement et comme média, qui force le respect et n’a plus d’équivalent dans le paysage. C’est bien le dernier.
Game Over de Mustapha El Atrassi, du 17 au 27 février au Palais des Glaces (complet) et en tournée en France et en Belgique jusqu’au 3 juin, billets sur gameovertour.com
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