Peut-on tirer un trait sur un(e) ex à l’ère numérique ? Entre pouces bleus et cœurs rouges en série, des posts Facebook aux stories Instagram, ils sont toujours là, à nous hanter. Lubie ou stalking ? Le phénomène a un nom aux allures de film d’horreur : le haunting.
C’est toujours la même chanson : les histoires d’amour finissent mal en général. Avec l’avènement des réseaux sociaux et des sites de rencontres, on aurait pu croire que « tourner la page » consistait, tout bêtement, à fermer une fenêtre pop-up. La réalité est bien plus complexe. Sur le web, le passé ne s’efface pas aussi facilement qu’un document Word. Au fil de nos profils numériques, nous sommes toujours « hantés« . Par un blog d’ado, des photos qu’on pensait évanouies, ou…par un(e) ex. Avant, le « haunting » désignait l’apparition – surnaturelle – ou l’obsession. Aujourd’hui, il s’agit d’une pratique digitale que nous expérimentons tous sans l’avoir nommée : lorsque notre ancien(ne) partenaire n’interagit pas mais se contente de liker à répétition nos posts divers. Ou quand de bêtes pouces en l’air nous renvoient à notre rupture.
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Haunting & Ghosting
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« Sous aucun prétexte / Je ne veux / Avoir de réflexes / Malheureux / Il faut que tu m’expliques un peu mieux / Comment te dire adieu« . Mais comment dire adieu, quand l’ex fait ressentir sa présence sur le moindre de vos posts Facebook, photos Instagram, et stories Snapchat ? Sans avoir besoin d’ouvrir une conversation, il hante votre timeline en se contentant de suivre le modus operandi 2.0. : aimer ou « adorer » vos statuts, parcourir ces albums photos où vous êtes identifié(e), laisser un emoji sur la moindre publication d’amis en commun. Sur le papier, le haunting est la touche F5 de nos déboires amoureux – son actualisation. Le temps n’est plus aux lettres enflammées envoyées en série à son ancien(ne) partenaire : aujourd’hui, le sentiment de manque s’exprime par la quantité de notifications accumulées sur sa page d’accueil. Cette sensation de surveillance post-rupture peut être trop intense. Et vriller au stalking.
Stalker, c’est traquer. Choisir une cible et fouiller ses comptes numériques dans leurs moindres recoins, en quête d’images et d’informations qui permettraient de reconstituer une histoire. Mais là où le stalking suppose d’avancer masqué sans laisser de traces, le haunting ne se cache jamais. Cette forme d’espionnage plus ou moins consciente a tout du « poke » pernicieux. « Tout dépend de la fréquence à laquelle la personne like et « fav », mais je ne parlerais pas de « stalking » car cette pratique suppose d’être discret, de se comporter comme un détective privé : l’inverse du haunting donc, explique la journaliste Ariane Picoche, co-fondatrice d’asv-stp.fr. Le geste semi-passif du like dérange et obsède, ne semble jamais tout à fait innocent. En cela, le haunting marche plutôt sur les pas d’un autre phénomène générationnel massif : le ghosting.
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« Haunting is the new ghosting » titre Cosmopolitan. D’un côté, une omniprésence fantoche, et de l’autre, le fait d’ignorer du jour au lendemain les messages de son/sa partenaire. Les deux processus se jouent du refus du dialogue – au profit de signaux évasifs – et de l’invisibilité d’autrui. On ne le voit pas, on ne le lit pas, mais il est bel et bien là, dans notre esprit. Les outils numériques à portée de mains, la « génération-fantôme » rend la rupture amoureuse soit inexistante puisque jamais officialisée (ghosting), soit impossible puisque constamment ravivée (haunting). Sans compter que tout(e) « hanté(e) » peut en retour « ghoster » son ex pour chercher à l’effacer de sa vie virtuelle. « Hanter, c’est regarder sa story sur Instagram, apparaître volontairement dans la liste de ses spectateurs mais garder ce statut semi-passif de fantôme du passé » analyse Ariane Picoche, pour qui « un ghoster peut devenir un haunter : après avoir subitement arrêté de communiquer avec son amant sans explication, il réapparaît l’air de rien, en likant des posts de celui qu’il a ignoré« . Qui sera le fantôme de qui ?
« Un jeu toxique »
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Cette confusion de sentiments, c’est un peu l’histoire de Camille. Cette étudiante en journalisme d’une vingtaine d’années s’est séparée de son ex il y a deux ans. Entre temps, elle a tout connue. Le petit-ami possessif qui épluche publications, commentaires, « j’aime » et messagerie personnelle. Les blocages et déblocages impulsifs suivant les coups de sang. Jusqu’à la création de faux comptes pour tester sa « fidélité ». « C’était comme un petit jeu toxique entre nous » nous dit-elle. Dès la rupture, ce « je t’aime moi non plus » s’est complexifié. L’ex s’évanouit dans la nature. Camille est folle de rage. Les rôles s’inversent. Elle devient le fantôme et le traque un an durant. La homepage de son profil perso devient un manoir à hanter.
« C’était plus fort que moi. Quand le chasseur ne stalke plus mais devient un fantôme, tu deviens à ton tour le haunter. Quand on se sépare, on est tenté de surveiller son ex sur Facebook ou de le rendre jaloux avec de superbes clichés Instagram. Au début, je pensais que quand tu es avec quelqu’un, c’est normal qu’il te « chasse » sur les réseaux sociaux. Puis c’était une manière pour moi de me dire qu’il existait encore un lien entre nous, façon » je ne suis plus avec cette personne, mais j’ai quand même envie de voir ce qu’elle fait de sa vie sans moi, et de lui faire comprendre par des likes que j’existe toujours…« . «
Résultats ? La course-poursuite entre fantômes tourne mal. Son ex cesse son ghosting, l’insulte sur Messenger, menace de porter plainte contre elle, de mettre en ligne des contenus trop intimes. Alors, Camille prend conscience de ce qu’elle appelle « les manipulations affectives« . On pourrait aussi parler de stratégies émotionnelles : la manière dont l’on se met en scène sur les réseaux tout en imposant ses affects sur ceux des autres. Ces émotions, un site comme Facebook les exacerbe en nous offrant une large palette d’emoji – du pouce bleu au coeur rosâtre – à appliquer aux statuts, commentaires, et discussions instantanées. Suivant le contexte et l’individu, du moindre like émerge alors une infinité de significations et de variations – tel cet « haunter » qui différencie ses « like intentionnels » et ses « like de courtoisie« . Le haunting serait alors une question de « distance émotionnelle« , comme le suggère Business Insider.
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D’accord, mais jusqu’à quel point ? Pour Sarah, un simple clic n’a rien d’ambiguë. Le haunting n’est pas qu’une flânerie nostalgique, mais une forme d’harcèlement light, « un moyen de s’introduire dans la vie de l’autre sans son consentement« . Cette étudiante en lettres s’est séparée de sa petite amie il y a plus de deux ans. Ce qui n’empêche pas cette dernière de surgir comme un spam, décochant quelques like sur les photos de ses copains actuels, s’intégrant symboliquement aux soirées d’où elle serait exclue. Et modifier sa situation amoureuse n’a aucun effet sur cette hantise.
« Je pense que les réseaux sociaux empêchent l’acceptation et la nécessité de la rupture, pour celui qui est quitté mais aussi pour celui qui quitte. Un like ne veut pas du tout dire je t’aime, mais plutôt « je vois ce que tu fais »/ »je pense a toi »/ »je ne t’oublie pas »…«
« Si je la bloque, c’est comme un deuil »
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Selon la psychologue Tara Marshal de la Brunel University (Royaume-Uni), conserver son ex dans ses contacts est en soi un « petit jeu toxique« . Refuser de disfriender, c’est courir vers la détresse et le sentiment de « rechute« . Les solutions sont alors toutes trouvées : masquer les publications de la personne intéressée et se dés-identifier des photos en commun. Ou mieux : bloquer. Mais Camille est sceptique. « C’est dur de prendre cette décision, de se dire : si je la bloque, alors c’est vraiment terminé« . Pour elle, ce n’est pas un paramètre de confidentialité qu’on applique mais une gifle qu’on assène. « C’est comme un deuil, un adieu définitif« . De son côté, Sarah a sauté le pas. Un soir, à reculons, encouragée par des amies. Ce blocage devait officialiser sa rupture. Mais elle ne l’a pas supporté. « J’en ai pleuré toute la soirée. Bloquer quelqu’un c’est faire en sorte que la personne disparaisse complètement du paysage, nous confie-t-elle, mais si j’ai envie qu’elle arrête de liker mes photos, je ne veux pas tout couper non plus entre nous deux…« .
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David Baker a lui aussi son avis sur la question. Pour ce doctorant en psychologie clinique à l’université de Lancaster (Royaume-Uni), on ne raye pas une personne de sa vie en l’éjectant de son fil d’actualité. En nous permettant de rendre quelqu’un invisible, les réseaux sociaux ne font qu’alourdir sa présence au quotidien. « Cela augmente la probabilité de se sentir déprimé car le fait de bloquer nous fait ruminer sur ce que l’autre personne est en train de faire, ou sur la manière dont elle a réagi à votre blocage » détaille le chercheur britannique. Face à cela, le pôle US de Facebook a mis en place une suite de paramètres de confidentialité pensés pour limiter la capacité de visibilité de votre ex. Réduire sa présence dans sa timeline sans le bloquer, « voir moins » (see less) de ses contenus, limiter sa capacité d’action, « cacher » certaines de ses statuts et se dé-taguer des « publications du passé » (past posts). Un compromis diplomate dont on ignore encore la réelle efficacité.
Situation : c’est compliqué
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Car comment lutter contre le haunting quand les réseaux sociaux font de notre passé leur algorithme ? Facebook n’en finit pas d’être une ode aux « memories« , ces souvenirs épars (statuts, photos) qui refont surface une, deux, cinq années plus tard, et s’imposent sur notre timeline. Sans oublier ces « anniversaires d’amitiés » qui d’une manière ou d’une autre nous renvoient toujours aux dates de ruptures. De quoi rendre mélancolique. C’est d’ailleurs le topo du Dr. Jennifer Freed, qui conçoit le haunting comme l’expression dépressive d’un manque. Suivre les stories Instagram de son ex équivaut à se goinfrer pour éponger sa tristesse, combler un vide « par une sorte de canne à sucre émotionnelle« …au risque de frayer l’overdose de glucose. Jadis, les « ex » se laissaient aller au hunting : errer dans les restaurants, bars ou nightclubs fréquentés par l’être aimé, animé par cette envie de l’y retrouver et d’avoir droit à une seconde chance. Le haunting est la version modernisée de cette déroute sentimentale. Elle prend place sur le web, là où rien ne s’oublie.
« Sur internet, le champ lexical « fantomatique » est associé à la fin des relations, c’est presque poétique et loin d’être déshumanisant« , conclut Ariane, pour qui « toute relation morte passe dans une forme d’au-delà« . A en lire l‘étude menée par chercheurs Jesse Fox et Robert Tokunaga (Université de l’Ohio) sur 431 utilisateurs de Facebook, nombreux sont les résidents des campus à rester « connectés » à leur « ex ». Ce comportement que les anglo-saxons baptisent « social media cyberstalking » n’attiserait pas seulement leur anxiété présente mais nuirait à leurs relations futures. Malgré tout, il faut croire qu’hanter autrui semble être un impératif du web communautaire. On ne peut pas dire que le petit fantôme malicieux de Snapchat ne nous avait pas prévenus.
https://twitter.com/superaser/status/855165457950789633
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