Chaque mois, retrouvez dans “Les Inrockuptibles” le meilleur des expositions à voir en France.
Charles Ray, Max Hooper Schneider et Anne Le Troter sont notamment au programme des expositions à ne pas manquer au mois de février.
Double Je
On connaît, de Charles Ray, les grandes sculptures hyperréalistes des années 2000. Lisses, inaltérables, d’une perfection glacée telle qu’elle bascule dans l’étrange. Souvent, d’ailleurs, on ne voit qu’elles, le nom de leur auteur restant dans l’ombre, à l’instar du Boy With Frog (2009) surplombant les eaux vénitiennes : un garçon nu, brandissant une grenouille dans son poing serré.
Commande de la Punta della Dogana à Venise, abritant les expositions de la Pinault Collection, c’est également à l’initiative conjointe de la Bourse de Commerce et du Centre Pompidou que l’on découvre, à Paris, la première présentation du sculpteur en France – et avec une centaine de sculptures au total, le plus vaste ensemble de ses œuvres réunies en une même ville.
Né en 1953 à Chicago, l’artiste aujourd’hui basé à Los Angeles aura traversé et informé l’histoire récente de la sculpture : des années 1970 où, proche des minimalistes, il aborde le corps par la mise en scène photographiée du sien (Plank Pieces, 1973), jusqu’aux mannequins pop dressés telle une armée de revenants entrepris à partir des années 1990. À Paris, le parcours s’organise autour de la figure du double, avec une partie historique au Centre Pompidou, et une seconde, contemporaine, à la Bourse de Commerce.
Charles Ray, du 16 février au 6 juin à la Bourse de Commerce – Pinault Collection et au Centre Pompidou, à Paris.
Death metal et “capitalocène”
C’était, à Paris, l’une des plus belles expositions en galeries, de celles du moins dont les formes offraient l’impression rare de se départir des esthétiques en vigueur. Lorsque le californien Max Hooper Schneider exposait à la galerie High Art, il offrait le panorama d’une post-nature faisant entrer en collision violente et sublime préhistoire et post-nature. Ce printemps, l’artiste, issu d’une formation en biologie marine, met le cap sur le littoral sud, et prolonge, au Mo.Co. Panacée, son exploration du paysage sensoriel d’un “capitalocène” éruptif et empli d’une violence primordiale.
Pourrir dans un monde libre, le titre de l’exposition, tire son titre d’une chanson du même titre du groupe de death metal Carcass. Les carcasses de l’artiste, elles, et la dizaine de sculptures récentes augmentées de dessins, vidéos et installations immersives sont en mutation plutôt que simplement mortes. Métabolisant les matériaux qui les composent, elles exhibent les stigmates du temps qui passe et annoncent l’imminence d’une finitude non plus individuelle, mais plus directement rapportée à l’échelle d’un temps, et d’un habitat humain – ou trop simplement postulé comme tel.
Max Hooper Schneider. Pourrir dans un monde libre, du 12 février au 24 avril au Mo.Co.Panacée à Montpellier.
Les maux à la bouche
Anne Le Troter est l’artiste d’un seul médium : la parole. En l’énonçant cependant, rien ou presque n’est dit d’une œuvre qui, tout en prenant l’oralité pour cœur, se confronte à ces zones grises du monde contemporain que sont les enquêteurs téléphoniques, les influenceurs ASMR ou les donneurs des banques de sperme. Le langage n’y est pas tant solipsiste ou poétique qu’il est balbutiant et entravé, éructant tant bien que mal depuis le carcan normatif qu’appose sur les corps la parole froidement mécanique des univers médicaux, scientifiques ou psychanalytiques.
Avec son exposition à Bétonsalon, l’artiste née en 1985 fait un pas en arrière : son champ d’investigation, ce sera l’histoire de l’art, mais celle qui bruisse hors des grands axes de visibilité. Ce qu’il en résulte, c’est une pièce de théâtre construite comme prosopopée : autour de la question des réseaux de solidarité, de soin et d’entraide, des artistes vivants dialoguent avec des figures zombies – Marie Vassilieff, Jean Cocteau, Kiki de Montparnasse ou Joséphine Baker –, autour de la santé et des maladies professionnelles, du travail et des insécurités sociales.
Anne Le Troter. Les volontaires, pigments-médicaments, du 18 février au 23 avril à Bétonsalon – Centre d’art & de recherche à Paris
Dernière danse
Niché au cœur du Marais, le Centre culturel suisse est un lieu rare d’ébullition transdisciplinaire, dont les murs accueillent des expositions (gratuites) et des spectacles tout en étant prolongé par une librairie. Avant sa fermeture pour travaux pendant deux ans, le CCS convie à un mois de festivités, par l’entremise de son bien nommé festival Tschüüss (“au revoir” dans le texte).
Où l’on retrouvera 40 artistes, échelonnés tout au long de sa durée, avec au programme des projections, concerts, spectacles et installations. Avec notamment les artistes Dorota Gawęda & Eglė Kulbokaitė, Lauren Huret & Maria Guta, Soraya Lutangu Bonaventure & Ali-Eddine Abdelkhalek (pour les projections en continu) et un week-end de clôture confié au collectif A Normal Working Day, pour une dernière danse de 48 h non-stop.
Tschüüss Festival, jusqu’au 6 mars au Centre culturel suisse à Paris.
Euro-visionnaires
Pendant quatre jours, le Grand Palais éphémère rassemble 400 étudiant·es issu·es de 35 écoles françaises et européennes supérieures d’art, de design, de cinéma, de théâtre et de musique. Ensemble, et travaillant par binômes associés d’école, iels réfléchiront à cette question : comment réenchanter l’Europe ? Ou, encore, comment en déconstruire les présupposés hérités, pour propulser le territoire tout autant que ses cadres politiques dans le présent ou dans un avenir proche ?
Après trois jours de travail sur place et de workshops, iels présenteront leurs projets au public le 10 février, au fil de formes multiples parcourant les thématiques de l’écologie, des frontières, du folklore ou de l’hospitalité, au sein d’une scénographie elle aussi conçue par les étudiant·es. Une école éphémère, une exposition plurielle, ponctuée également d’un ensemble de conférences et d’événements.
EuroFabrique, le 10 février au Grand Palais éphémère à Paris.