A 40 ans, et après trois hits successifs – « Get Lucky », « Blurred Lines » et « Happy » –, Pharrell Williams livre enfin avec « G I R L » l’album solo qu’on attendait
de lui. Entretien, critique et écoute.
Même si, comme vous allez le lire, Pharrell Williams refuse en bloc toute idée de phénix, de cendres et donc de “come-back”, 2013 et 2014 semblent bel et bien marquer la renaissance – à 40 ans, mais, rassurez- vous, il en fait 22 – de celui qui fut le producteur mais aussi l’interprète le plus séduisant/intrigant des années 2000. Bien sûr, il y a eu des albums de N.E.R.D. absolument indispensables, bien sûr il y a eu quelques hits et des featurings fous, mais depuis 2006 et un premier album solo un poil décevant (In My Mind) qui le vit se faire appeler Skateboard P, le gars Pharrell semblait avoir perdu dans la bataille un peu de ses superpouvoirs, laissant alors le champ libre à d’autres (Kanye West en tête).
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Et puis il y eut Get Lucky en 2013, ce titre au groove futuriste et fulgurant sur lequel un Pharrell juvénile semble n’avoir jamais aussi bien chanté. Un titre qui sacre plus de dix ans de jeu et de fidélité avec ceux que Pharrell appelle “les robots” (pendant tout l’entretien, il ne prononcera pas une seule fois le nom des Daft Punk) – les Neptunes avaient remixé Harder, Better, Faster, Stronger dès 2001) –, mais qui annonce surtout l’un des plus beaux triplés de la musique moderne. A Get Lucky succède Blurred Lines, chanté en compagnie du bellâtre Robin Thicke et de T.I., et à Blurred Lines succède encore l’imparable Happy, envoyé en tête de pont pour annoncer le retour en solo de Pharrell avec G I R L. Trois titres, trois ambiances et trois succès idéaux pour lancer l’un des disques les plus attendus de 2014.
Entièrement – comme son nom l’indique – consacré aux filles, G I R L vient renforcer le travail entamé par le Random Access Memories des Daft Punk. C’est le retour des musiciens de studio, le triomphe de l’humain sur la machine. Et Pharrell au milieu de tout cela, qui chante comme jamais, qui parle de Marilyn Monroe, de Jeanne d’Arc ou de Cléopâtre (sur le prochain single à venir Marilyn Monroe, partagé avec le compositeur de BO Hans Zimmer).
Qui groove aux côtés d’un Justin Timberlake retrouvé (Brand New), fait danser les très jeunes filles comme il a toujours su le faire (après Britney, c’est au tour de Miley Cyrus de se dévoiler dans Come Get It), continue son ride avec les Daft (le surprenant Gust of Wind, sorte de négatif de Get Lucky), et semble enfin vouloir poursuivre sa conquête du monde en compagnie d’une horde de nanas sur le sursexy It Girl. C’est beau, c’est classe, c’est une succession de hits où la coolitude prend le dessus sur l’introspection. En ce sens, G I R L n’est pas l’équivalent du tripal Yeezus de Kanye ou du phénoménal Because the Internet de Childish Gambino. C’est surtout le retour, en grande pompe, d’un homme dont le nom est désormais synonyme de joie, bonheur et autre félicité. On a envie de dire : chapeau.
ENTRETIEN
L’album s’appelle G I R L, et le mot “girl” est présent dans sept chansons sur onze. As-tu fait cela consciemment ou t’en es-tu rendu compte à la fin de l’enregistrement ?
Pharrell Williams – Ce qui est sûr, c’est que c’est un des mots que je prononce le plus dans la vie (sourire). Finalement, je crois que c’était plutôt conscient : j’avais envie d’écrire un album qui parlerait des filles, des femmes en général. J’avais envie de leur rendre hommage, et c’est aussi pour cela que j’ai choisi cette typographie particulière. Le titre exact du disque est G I R L, en majuscules, avec un espace entre chaque lettre. Je voulais faire entendre ce mot, lui donner plus de poids, plus d’espace, plus de résonance. Le monde dans lequel nous vivons est terriblement défavorable aux femmes. Pour un même travail, les femmes ne touchent pas le même salaire que les hommes. Il y a encore des endroits où les hommes peuvent dire aux femmes ce qu’elles doivent faire de leur corps. Imaginez un monde où les hommes n’occuperaient pas quasiment tous les postes à responsabilités. Ça serait tellement différent. Le mot pouvoir, qui est un mot que je n’aime pas, est l’apanage des hommes. Alors que ce sont les femmes qui ont l’unique pouvoir : celui de donner la vie.
Serais-tu devenu la Simone de Beauvoir du hip-hop ?
Ce serait très arrogant pour moi de dire que je revendique ce titre, comme tout autre titre, d’ailleurs. Mais si je peux contribuer à ma façon au fait que les femmes soient un peu mieux considérées, je le ferai.
Dans beaucoup de tes clips, tu as souvent été représenté seul au milieu de nombreuses femmes, qui ne faisaient que danser autour de toi. Est-ce “féministe” ?
(rires) Là, je documentais la situation d’un homme seul en soirée au milieu de nombreuses femmes. Qui pour la plupart étaient des amies, et qui avaient accepté de se prêter au jeu. Mais ça, c’était le Pharrell d’avant (rires).
Quand on écoute G I R L, on peut faire le même constat qu’avec l’album de Daft Punk : c’est le grand retour des musiciens, des instruments, de l’enregistrement en studio…
Quand “les robots” m’ont fait venir à Paris pour commencer à m’ambiancer sur Get Lucky, j’avais déjà commencé à bosser sur certaines chansons de G I R L. Nous sommes arrivés en studio, ils ont lancé le morceau, et j’ai été totalement sidéré par ce que j’entendais. L’influence première sur mon disque, c’était aussi Nile Rodgers, les mêmes lignes de guitares. Et là, c’est carrément lui qui jouait sur le morceau. Histoire vraie. C’était très étrange, non ?
Quelle coïncidence, c’est fou. C’est donc les “robots” et toi qui fixez les standards de la musique à venir.
Je vous l’accorde, c’est assez dingue. Ce qui est encore plus dingue, c’est de se dire que “les robots” d’un côté de l’Atlantique et un petit gars comme moi de l’autre arrivons à avoir la même intuition au même moment. Ouais, c’est dingue.
Vous êtes connectés depuis longtemps avec “les robots” ?
“Les robots” sont des robots. Avec eux, tout est mathématique, tout est scientifique. Je travaille beaucoup plus au feeling. Mais nous avons en commun l’envie que notre musique aide les gens à se sentir bien. Faire du bien aux autres, voilà ce qui nous unit. C’est pour cela qu’il faut rester ouvert, attentif à ce qui se passe autour de nous. Guetter le moindre détail qui va permettre de donner du bonheur autour de soi. C’est comme ça qu’on chope ce qui est cool. Parfois, un mec cool, ou une idée cool, passe juste devant toi sans que tu la voies. Avec “les robots”, nous sommes toujours aux aguets, prêts à attraper cet individu, ce moment, cette idée. C’est un boulot à plein temps, crois-moi.
A un moment, est-ce que tu as douté de toi, est-ce que tu ne parvenais plus à sentir aussi bien ce qui pouvait être “cool” ?
Non, car je suis toujours sur le qui-vive. J’essaie d’être poreux, de laisser les choses me traverser. Parfois j’utilise les choses que je ressens des années plus tard, mais je garde tout en stock. Les yeux et les oreilles grands ouverts, mon pote.
Le premier mot que tu prononces sur le disque, c’est “different”. Tu aimes toujours autant surprendre, dérouter, être là où l’on ne t’attend pas ?
J’adore ça, j’adore trouver sans cesse un nouveau kaléidoscope, faire bouger les gens, les choses, les lignes. C’est pour cela que je reste très attentif à ce qui se passe autour de moi, et que j’essaie de me rapprocher d’artistes qui m’apportent leur enthousiasme.
Récemment tu as travaillé avec beaucoup de Français. Avec Woodkid, mais aussi avec les clippeurs de We Are From L.A., qui ont réalisé la vidéo de Happy.
Woodkid est un génie. Je suis tombé sur lui par l’internet il y a environ quatre ans. Un ami à moi le représentait aux USA et il m’a montré ses vidéos. Il m’a fait écouter sa musique et je suis tombé raide de son travail, je vais faire de grandes choses avec lui. Il sait tout faire, la musique, l’image. C’est lui qui m’a présenté les gens de We Are From L.A. Pour moi, ces artistes cultivent cette “différence”, ils veulent sans cesse être les premiers à faire les choses. Il se passe un truc à Paris, c’est une ville qui m’a toujours envoyé de bonnes ondes.
G I R L est un album d’une grande fidélité envers tes amis. On y retrouve les Daft, mais aussi Justin Timberlake…
Les gens qui sont sur le disque, que ce soit les “robots”, Justin, Miley Cyrus ou Alicia Keys, ce sont des gens qui font partie de la famille. Ils savent exactement ce que je veux, et je sais exactement ce que je veux prendre chez eux. Quand je fais venir “les robots” sur un morceau, je sais que je veux les voir dégager cette émotion toute particulière, que je veux voir leurs circuits traversés par un arc-en-ciel. Miley amène une sensualité incroyable à la musique, elle emmène la chanson là où je voulais. Alicia Keys est une combattante et elle chante à la perfection sur le titre que nous partageons. Quant à Justin, il apporte le groove qui est le sien sur notre duo, je savais que ça se passerait comme ça.
Avec Justin, vous n’avez pas travaillé ensemble depuis longtemps ? Non, et c’est pour ça que j’ai beaucoup aimé le moment que nous avons passé ensemble, je l’en remercie.
Es-tu autant excité par la sortie d’un disque que quand tu avais 20 ans? Je dirais presque plus.
Pour G I R L, il y aura une tournée ? Dans de grandes, de petites salles? Des grandes. J’ai envie de voir et d’entendre les filles chanter et danser sur mes titres, j’ai écrit ces titres pour elles, j’ai envie de cette expérience physique, j’en ai besoin. Je veux voir des milliers de filles chanter mes morceaux avec moi sur scène.
Avec les succès de Get Lucky des Daft, de Blurred Lines de Robin Thicke, ou encore de Happy, tu sembles à toi seul incarner l’idée de la joie ou du bonheur dans un monde totalement déprimé. Comme si ta présence avait des vertus positives…
Waw, quelle pression sur mes épaules. C’est dingue d’entendre ça. Je ne sais pas ce que je représente, mais je suis un amoureux et un fan de musique, et, comme je le disais, j’essaie de faire du bien, je fais de mon mieux pour ça, je ne sais pas ce que je symbolise ensuite. Ça me rend presque timide de vous entendre dire ça (sourires).
Tu en as marre parfois de te voir à la télévision ou de t’entendre à la radio ?
Oui, ça me fait peur. J’essaie de me prémunir de ça.
Depuis six mois tu enchaînes les numéros 1, c’est important pour toi d’avoir des hits ?
Oui et non. J’aime ça, mais je sais que la musique, c’est très variable, parfois tu cartonnes, tu es au sommet, et ensuite les ventes sont plus modestes. La réalité, c’est que tout cela n’a aucune influence sur ma façon de composer, de créer.
Au début de Get Lucky, tu parles de “la légende du phénix”. As-tu le sentiment que les Daft t’ont aidé à renaître de tes cendres, après une période qui était peut-être moins faste que d’autres pour toi ? T’ont-ils aidé à faire ton “come-back” ?
(silence) Ce que vous dites est très poétique et plein de métaphores, mais franchement, pas du tout. Je vois très bien le concept, je vois très bien où vous voulez en venir, mais non, je ne crois pas être ce phénix-là.
Quelle est ta relation avec Kanye West et Jay-Z ?
Jay-Z est comme mon grand frère, et Kanye est comme un frère aussi. On n’a pas besoin de se parler beaucoup pour se comprendre. Je suis très proche de Jay, nos familles se connaissent.
Qu’as-tu pensé de Yeezus, le dernier album de Kanye West ?
Du pur génie, absolument incroyable. C’est un album qui crée des images à chaque instant, c’est fou.
Peux-tu ressentir de la jalousie à l’égard d’un artiste en entendant quelque chose que tu aurais aimé écrire toi-même ?
Non, pas vraiment.
Il y a eu huit ans entre ton premier album In My Mind et celui-ci. Pourquoi ?
Je n’avais pas envie de refaire un autre album solo. Mon premier disque était tellement autocentré… Je n’avais pas envie de revivre une telle expérience, je n’avais pas envie de parler de moi, de paraître trop égoïste…
Tu as beaucoup travaillé là-dessus ces dernières années ?
Mais j’y travaille encore. Le processus est loin d’être terminé. J’essaie d’être plus altruiste, de voir ce que je peux faire pour mon prochain, de voir comment je peux faire pour ne pas me mettre au centre de tout. Ce que j’ai vécu ces dernières années, dans mon existence personnelle surtout, m’a beaucoup aidé là-dessus. Et je crois que ça se ressent dans ma musique, qui est peut-être devenue plus généreuse elle aussi. Je cherche moins à attirer l’attention, et plus à donner du plaisir. J’ai fait beaucoup de collaborations ces dernières années, et pas simplement avec des musiciens. J’ai appris beaucoup de choses, un peu comme si j’avais accepté de retourner à l’université. Le Pharrell d’aujourd’hui est, je pense, meilleur que celui d’il y a huit ans. Je dis moins “je”, je dis plus “nous”.
Tu vis toujours à Miami ?
Oui, c’est la maison, au même titre que la Virginie, où je suis né. Il y a l’océan, ce climat tropical que j’affectionne beaucoup, qui me fait du bien. Je n’ai plus besoin d’aller à New York ou à Los Angeles autant qu’avant. Ma vie est là-bas, c’est là-bas que j’écris ma musique. Même si j’ai envie que le monde entier l’entende (rires).
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