Malgré la sonnette d’alarme tirée par les scientifiques, la commission européenne a voté, mardi 4 juillet, l’adoption d’un texte redéfinissant les perturbateurs endocriniens. Une défaite camouflée en avancée, dans le combat contre ces substances toxiques.
Ils étaient jusqu’à hier, mardi 4 juillet, trois états à tenir bon. Délaissant la Suède et le Danemark, la France vient de céder à la pression de l’industrie allemande (qui comprend les géants de la chimie BASF et Bayer). Ce revirement a permis à la Commission européenne d’obtenir un vote majoritairement favorable concernant son projet de redéfinition et réglementation de l’utilisation de perturbateurs endocriniens, malgré la controverse dont il a fait l’objet et les inquiétudes qu’il suscite chez les ONG et scientifiques.
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Ces substances chimiques qui ont envahi notre quotidien (on les retrouve dans nos gels douche, nos emballages plastiques, les revêtements de nos poêles, ou dans les pesticides vaporisés sur les fruits que nous mangeons) perturbent nos systèmes hormonaux et sont à l’origine de pathologies graves. Le magazine 60 millions de consommateurs a publié au mois de juin une liste des produits cosmétiques à bannir de nos salles de bains, car contenant des composants cancérogènes ou des « PE ».
Pour Nicolas Hulot, il s’agit d’une « avancée considérable »
Bien que ce projet soit perçu par certains comme défavorisant les consommateurs, Vytenis Andriukatis, commissaire européen à la santé, s’est félicité de l’adoption de ce nouveau système, fruit de « plusieurs mois de discussion« , dans un communiqué : « Nous avons voté le premier système de réglementation au monde avec des critères juridiquement contraignants pour définir ce qu’est un perturbateur endocrinien. Une fois mis en œuvre, le texte garantira que toute substance active utilisée dans les pesticides identifiée comme un perturbateur endocrinien pour les personnes ou les animaux peut être évaluée et retirée du marché« . Interrogé par France Info, Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique, s’est réjoui, faute de mieux, de l’adoption de ces critères qu’il désigne comme « une avancée considérable », ouvrant « une brèche qui ne va pas se refermer ».
Contactée par Les Inrockuptibles, Barbara Demeneix, biologiste et spécialiste des perturbateurs endocriniens n’est pas de l’avis du ministre. « Il n’y a pas eu de concessions qui ont été faites. Contrairement à ce que dit M. Hulot, le texte est exactement le même que la première version qui a été proposée en juin 2016. Idem pour les 50 millions qui ont été débloqués pour la recherche, cela avait déjà été conclu. Il n’y a aucune amélioration, les scientifiques européens sont très déçus« . Les propos tenus par Nicolas Hulot sont d’autant plus malvenus compte tenus des révélations publiées par Le Canard Enchaîné ce mercredi. Selon l’hebdomadaire français, il a touché des royalties sur les ventes des shampoings et savons de la marque Ushuaïa, dont les compositions contiennent des phtalates, perturbateurs endocriniens notoires…
Des critères inadaptés
L’Union européenne a donc réfléchi sur la définition des perturbateurs endocriniens pour pouvoir améliorer et clarifier la réglementation les concernant. Les membres de la Commission se sont entendus sur un certain nombre de critères. Mais la Suède et le Danemark n’adhèrent pas à ces derniers, qu’ils jugent trop exigeants. Prouver qu’une substance est nocive risque de s’avérer être un véritable combat. En effet, « le niveau de preuves requises pour qu’une substance soit déterminée comme toxique est beaucoup trop élevé » affirme Barbara Demeneix.
Par ailleurs, la question de la transversalité de ces critères se pose. Les ONG s’inquiètent qu’ils ne soient applicables qu’au secteur des pesticides. Pourtant, les perturbateurs endocriniens se logent dans bien d’autres produits de notre consommation courante : cosmétiques et jouets pour ne citer qu’eux.
Continuellement exposés
Les scientifiques réclamaient un modèle calqué sur celui permettant de classifier les substances cancérogènes ou mutagènes : une échelle graduée, pour distinguer la présence de perturbateurs endocriniens et évaluer le risque : « catégorie 1A : danger avéré ; catégorie 1B : danger présumé ; catégorie 2 : danger suspecté » mais réglementant la totalité des produits en contenant, quelle que soit leur concentration. Or, le système d’évaluation voté le 4 juillet, laxiste et inadapté, ne prend en considération le risque que s’il est « avéré » ou « présumé ». La présence « soupçonnée » de ces perturbateurs hormonaux ne pourra donc, pour le moment, faire l’objet d’aucune réglementation quant à sa mise sur le marché. Un facteur qui préoccupe Barbara Demeneix. « Si le produit a une action sur notre corps, c’est à prendre en compte. Qu’elle soit qualifiée comme négligeable ce n’est pas scientifiquement valable. Quand une femme enceinte est exposée à des perturbateurs endocriniens, même des faibles doses, ça peut affecter la santé de son enfant toute sa vie « .
D’autre part, comme le déplore la scientifique, au-delà de la quantité, c’est la question du temps d’exposition qui importe. « Le problème c’est que nous sommes continuellement exposés. Des études montrent qu’on est tous exposés à des dizaines parfois une centaine de perturbateurs différents… Et on connait encore peu de choses sur les effets de ces mélanges sur le corps. Et ce texte ne protège pas suffisamment ni la santé humaine ni la biodiversité. »
Le texte doit désormais être examiné au parlement européen. 70 ONG ont signé une lettre commune dans laquelle elles appellent ce dernier à rejeter les critères votés par les états membre de la Commission, qui sont « insuffisants » et font de « l’identification des substances un véritable fardeau« .
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