Le parcours imaginé au sein des collections publiques entend ouvrir une correspondance entre les arts, mais le vêtement demeure souvent subordonné aux œuvres plastiques.
Yves Saint Laurent aux musées ? Oui, de manière très littérale. Jusqu’à la mi-mai, six musées parisiens se sont prêtés au jeu : le centre Pompidou, le musée d’Art moderne, le musée du Louvre, le musée d’Orsay, le musée Picasso et le musée Yves Saint Laurent.
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Le parcours imaginé au sein des collections publiques entend ouvrir une correspondance entre les arts. Mais le vêtement y demeure souvent subordonné aux œuvres plastiques. Chacun accueille un volet d’un parcours à travers les collections publiques des lieux d’accueils, conçus par la fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent à l’occasion du 60e anniversaire du premier défilé de la maison – le 29 janvier 1962, le couturier présentait sa première collection en son nom propre.
Au musée Yves Saint Laurent, exposer la genèse du vêtement
Voilà pour le contexte. Dans les espaces, le parcours est scindé en deux gestes principaux. Le musée Yves Saint Laurent fait office de cortex, matérialisant l’activité d’une création en acte. C’est-à-dire que l’on y voit exposé un ensemble de croquis, 350 au total, de la main de l’artiste, au crayon graphite sur papier rehaussé de feutre ou de pastel. Au fil d’un accrochage salon dans les deux premières salles sont présentés les modèles sélectionnés par le créateur pour son défilé d’adieu au Centre Pompidou le 22 janvier 2002.
La ligne est assurée, fend l’espace. Ce ne sont pas uniquement des croquis, plutôt quelque chose comme un geste sculptural qui s’élance. On y perçoit déjà, à fleur de papier, les renvois et citations aux artistes du XXe siècle, à Mondrian, Matisse, Van Gogh, Picasso, Braque ou Cocteau, s’alliant à certaines pièces phares du répertoire de l’artiste : saharienne, caban, smoking. La suite du parcours fera la part belle au travail en atelier : patrons de blouses, de chapeaux, de chaussures.
Les registres s’allieront pour se matérialiser, orchestrant une rencontre qui deviendra vêtement : dans la pièce centrale trônent les premières vestes et robes. La troisième dimension arrive, incarnée notamment par la veste hommage à Vincent Van Gogh (1988), tout en broderies, en paillettes, tubes, rocailles et rubans, faisant disparaître sous le motif pictural l’idée même de la veste. Celle-ci se tient, seule, en l’absence même de corps.
Au fil des collections publiques, une poignée d’anecdotes…
Et puis, dans les cinq autres musées, le cœur de l’invitation et l’enjeu d’une rencontre, l’élan vers autre chose que les taxonomies d’usage – art et artisanat ; contemplation et usage ; valeur du luxe et valeur de l’art – tendent à se perdre ou à s’étioler au fil de la confrontation avec les collections.
L’exercice se lit comme une série d’anecdotes ponctuelles. Au musée d’Orsay, l’accrochage raconte la découverte par un Saint Laurent âgé de 18 ans de la Recherche de Marcel Proust, qu’il n’achèvera jamais “par superstition”, qui lui inspirera la création de son premier smoking en 1966 et les réflexions autour de l’androgynie, prolongées notamment avec le Bal Proust de 1971, organisé pour Jane Birkin et la Baronne de Rothschild.
Au musée Picasso, la citation et l’hommage sont directs, ne concernent plus seulement le motif mais le travail de débordement des formes et l’architecture du vêtement. On apprend, par l’entremise de la commissaire Emilia Philippot lors de la visite presse, que Saint Laurent collectionneur possédait en outre cinq œuvres de Picasso de sa période cubiste de 1912-1915, cette fréquentation quotidienne transparaissant dans les formes.
C’est le cas de la veste hommage à Pablo Picasso (automne-hiver 1979) en drap de laine bleu, noir et ivoire, présentée en regard de sa source directe, le Portrait de Nusch Eluard de Picasso (1937) et son modèle vêtu de la veste en question, en peinture et en 2D.
…pour un constat d’ensemble : le vêtement vire au revêtement
Dans les autres lieux, les liens sont plus ténus comme dans l’ensemble, et concernent davantage des influences ponctuelles lorsqu’elles sont avérées, ou illustratives lorsqu’elles découlent d’une fantaisie – basées alors sur des résonnances fortuites de motifs, couleurs ou volumes.
Dans la galerie d’Apollon au Louvre prévalent l’apparat et le baroque : l’or, les perles, le motif du cœur. Les diamants de la couronne brillent du charme camp des 80s. Au musée d’Art moderne, les associations sont plus parcellaires : ici, trois robes de satin (Ensemble du soir long, automne-hiver 1992) aux tons fuchsia, émeraude ou bronze évoquant les tons de la Fée Electricité de Raoul Dufy (1937) ; là, un hommage plus direct à Fernand Léger ou à Giorgio de Chirico.
Au centre Pompidou également, l’ensemble composé par la fameuse robe Mondrian présentée en 1965 (Hommage à Piet Mondrian, automne-hiver 1965) voisine avec des associations plus aléatoires, à l’instar d’une robe pop ceinte d’un soleil rougeoyant placée à côté d’un ensemble de toiles de la poétesse et peinte Etel Adnan (2010) – disparue en novembre, son hommage se trouve, selon les points de vue, augmenté ou parasité.
La spécificité des médiums et des systèmes d’exposition
Cependant, le constat de la littéralité de la proposition se fait jour dans l’ensemble : les robes sont placées à côté de tableaux, sans que la manière d’exposer l’un ou l’autre ne s’en trouve affectée.
Le vêtement devient statique, soclé, mis à distance et les peintures, ramenées à une fonction purement plastique, détachées de questions de représentation historique reliées aux progrès scientifiques et technologiques de l’époque, tout en omettant également par la juxtaposition la capacité d’absorption des spectateur·rices.
En tout et pour tout, l’exercice se lit comme autant de traits d’esprit, parfois amusants, souvent séduisants, qui ne s’aventurent pas jusqu’à la déhiérarchisation des arts ni même sur ce que l’un fait à l’autre. Il en va d’une juxtaposition, qui frappera davantage les visiteur·rices de passage venus pour les collections et découvrant ces nouvelles incises, que d’une réelle proposition que l’on recevrait dans son ensemble comme une exposition diffractée.
Yves Saint Laurent aux musées, centre Pompidou, musée d’Art moderne de Paris, musée national Picasso, musée du Louvre, musée d’Orsay, musée Yves Saint Laurent Paris, du 29 janvier au 15 mai 2022.
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