Au Musée du Jeu de Paume, rétrospective de l’œuvre du photographe néerlandais Ed van der Elsken (1925-1990), chroniqueur de la faune de Saint-Germain des Prés et des bas-fonds de Tokyo dès les années 1950. Un précurseur de la folie pop/rock.
Chaînon manquant entre Brassaï, l’explorateur de la faune interlope du Paris des années 1930, et Nan Goldin, chroniqueuse du trash new-yorkais des années 1980-90, le photographe néerlandais Ed Van der Elsken écuma les nuits de Saint Germain des Prés à l’aube des fifties. Il en tira des romans photos poé-tristes (comme Love on the Left Bank) où sont vautrés les zonards existenti-alcoolo-lettristes de l’époque. Autrement dit, les French beatniks… Malgré la première impression que donne la rétrospective Van der Elsken de la Galerie du Jeu de Paume, le monde de Saint Germain des Prés et ses dérives, annonçant la jeunesse destroy de la fin du XXe siècle, ne sera qu’un hors d’œuvre dans la trajectoire de ce Rimbaud de la photo.
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Cinq ans à Paris. Après cela, Ed cinglera vers l’Afrique, puis deviendra accro au Japon, non sans accomplir le tour du monde pour nourrir son avidité de voyeur, mais plus prosaïquement pour gagner sa vie.
© Ed van der Elsken / Nederlands Fotomuseum, all rights reserved.
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A Paris, il ne joue pas le touriste-voyeur. Comme Goldin bien plus tard, Van der Elsken ne regarde pas de l’extérieur, mais de l’intérieur. Il appartient au monde bohème qu’il capture dans son viseur, qui est la suite du Montparnasse artiste du début du siècle. Le photographe vit dans la crasse, l’amour, la nuit, la danse, en compagnie de certains personnages précurseurs, comme la géniale et oubliée figure de proue de la nuit parisienne de l’époque, Vali Myers, Australienne échevelée resplendissante de sauvagerie, qui sera l’héroïne Love on the Left Bank. Cette lionne rouquine rappelle un peu Cameron, la majesté sataniste du film Inauguration of the pleasure dome de Kenneth Anger, laquelle fera aussi un bref séjour à Saint Germain des Prés. Précisément là où Van der Elsken croquait ses sujets, en noir et blanc, de préférence la nuit, loin des yeux de la bourgeoisie rangée.
Le Hollandais explore les expériences déglinguées de l’époque avant d’arpenter le monde. Après l’Oubangui Charri (Afrique), à la fin des années 1950, dont il rapporte des travaux plus ethnographiques, mais vivants, fondés sur le mouvement – centrifuge –, Van der Elsken synthétise le zeitgeist occidental dans son livre Jazz, où il épingle la plupart des musiciens stars du genre avec une grande force plastique. Un mur de l’exposition du Jeu de Paume traduit l’explosion sonique du be-bop, dont il fut un bref mais fulgurant chroniqueur.
© Ed van der Elsken / Nederlands Fotomuseum, all rights reserved.
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L’autre pôle magnétique de l’expo est le Japon, où Van der Elsken séjournera quinze fois à partir des années 1950. Sans changer son fusil d’épaule, il axe sa recherche sur la violence et les excès. Ses sujets favoris : rockers et yakuzas. En ce sens, il retrouve Brassaï, qui tirait le portrait aux prostituées et aux mauvais garçons de Paname. Ici comme dans Jazz, les bouilles des gouapes nippones explosent dans le cadre comme ces rockers grimaçants aux cheveux plaqués.
Parfois, un moment de sérénité solitaire à la Hopper met un bémol à cette rage. Les blancs ont un aspect nacré, les noirs débordent parfois la zone d’ombre pour nimber les sujets d’une brume sombre. Procédé de tirage récurrent chez le photographe qui semble affectionner certains effets de vignettage. Van der Elsken aime noircir le réel. Cela dit, il ne travaille pas exclusivement en noir et blanc. Il va se convertir peu à peu à la couleur. Mais comme souvent chez les artistes qui ont forgé leur style en noir et blanc, la polychromie lui réussit un peu moins bien. Sans n’offre-t-elle pas autant de possibilités lors du tirage en labo
Van der Elsken a aussi beaucoup filmé, mais les extraits de documentaires qui ponctuent et animent le parcours de cette exposition plus impressionniste que chronologique, demanderaient presque un espace à part. Paysages, scènes de rue, alternent avec des travaux plus intimes ou familiaux : une virée en jeep filmée au fish eye, ou bien même une confession de l’artiste dans sa baignoire parlant du cancer qui devait l’emporter. Le cinéma documentaire (grande tradition néerlandaise) de Van der Elsken ne semble pas insignifiant, mais il faudrait le voir en détail et à tête reposée. Les écrans ouverts dans l’espace du Jeu de Paume ne sont pas propices à la concentration. Dans une autre pièce, on découvrira des diaporamas préludant à ceux de Nan Goldin. Ed Van der Elsken fut un précurseur. Il a ouvert un vaste espace du possible. A découvrir d’urgence.
Ed Van der Elsken, La Vie Folle. Jeu de Paume, Place de la Concorde, Paris. Jusqu’au 24 septembre 2017
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