Tous les mois, “Les Inrocks” vous proposent de découvrir un groupe ou un artiste que vous ne connaissez pas (encore). Aujourd’hui, Jwles, nouveau fer de lance d’un rap français adepte du décloisonnement des genres.
Après une dizaine de singles distillés depuis juin 2020, l’adoubement de Rim’K du 113 en octobre et un tweet de bonne année signé Léa Salamé reprenant une punchline de son morceau produit par Thxnk, Kipling (“Elle m’laisse pas parler comme Léa Salamé”), pour parachever le tout, c’est peu dire que le nom de Jwles attire désormais l’attention. Si certains auditeurs avertis et friands de SoundCloud s’étaient déjà amourachés du style atypique du rappeur actif depuis huit ans déjà, il aura fallu attendre Joe Da Zin, collaboration avec le producteur et DJ Mad Rey parue l’année passée, pour que Jwles décroche son premier tube.
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Mais plus qu’un simple mariage entre la house filtrée de l’une des dernières signatures d’Ed Banger et le rap syncopé de Jwles, Joe Da Zin est une véritable profession de foi d’un artiste qui ne recule devant aucune influence. Café en main, il surenchérit : “On a tous une position. Je ne suis pas Rim’K, je ne suis pas Koba la D, je ne suis pas Freeze Corleone, je ne suis pas Quavo. C’est tout un truc qu’il faut déconstruire pour trouver son identité.”
Quête d’identité
Depuis, le rappeur de Saint-Denis, qui a grandi entre New York et Grasse, a mis un point d’honneur à faire montre de son ouverture sur le monde avec son collectif LTR Worldwide et musicale dans une série de morceaux qui piochent aussi bien dans la trap sudiste, le rap de Detroit que la french touch : “Quand je suis arrivé dans le rap, je voulais trouver mes samples, ma couleur. Si t’écoutes que du rap ça va te limiter, ton cerveau il est cramé. C’est limite dangereux (sourire). Le rap est une musique de fusion c’est pour ça qu’il faut rester ouvert.” Avant de surenchérir : “Un rappeur français qui sample de la soul ou de la country il y a moins de logique que pour un rappeur américain. C’est là où 113 et DJ Mehdi ont été forts de se dire ‘On sample des sons qui viennent d’Algérie’. Quand tu te poses ces questions-là sur ta musique, ça devient intéressant.”
Celui qui concède s’être sapé comme Lil Wayne à l’adolescence tout en se bousillant au 113, au Wu-Tang et aux enfants terribles d’Odd Future semble avoir été éduqué à la bonne école pour le décloisonnement des genres : “Le premier gars avec qui j’ai bossé sur Paris est un mec qui faisait de la minimal, quand il était plus jeune il avait un groupe de bossa-nova et, à ce moment-là, il voulait faire des instrus de hip-hop. J’ai capté que, souvent, c’était mieux de faire de la musique avec des gars comme ça. Blasé (producteur et membre de Haute, ndlr) et Mad Rey, si je leur fais écouter un artiste comme 645AR, ils seront au moins intrigués.”
DMV Flow
En huit ans, Jwles a donc eu le temps de raffiner la formule. Bilingue depuis le berceau, il a naturellement débuté le rap en anglais avant d’amorcer une transition vers le français : “Je pense que toute personne qui parle couramment anglais va être plus à l’aise de rapper en anglais. C’est un réflexe, la langue est 1000 fois plus mélodique. Le français… il n’y a pas de mélodie dans cette langue, c’est dur de chanter en français. Gainsbourg, il ne chante pas, Brassens, il ne chante pas. Quelque part ils sont plus proches du rap français que les chanteurs américains du rap US.”
Mais depuis une paire de singles et son ep collaboratif avec le rappeur et producteur américain Nutso Thugn, c’est vers un sous-genre du rap américain que Jwles s’est tourné : la DMV, qui consiste à enregistrer par phrase plutôt que par couplet. Un style qui “paradoxalement colle assez bien au français” même s’il a valu son lot d’incompréhensions pour lui et ses pairs (Le Lij, Bob Marlich…) dans le public rap. “Quand Alpha Wann fait un featuring avec Rowjay, c’est intéressant de voir la réaction des gens qui ne comprennent pas. Ici, on n’a pas encore forcément les références. On a été habitués à l’Auto-Tune, la trap parce que l’éducation a été faîte. Dans notre genre, il y a pas encore d’artiste grand public qui a pété avec ce flow”. Pour Jwles, ce flow qu’il connaît depuis les premières mixtapes d’Hoodrich Pablo Juan est une aubaine : “Je me suis tapé des barres avec mon pote Timothée Joly. On rappait n’importe quoi et ça m’a permis de réévaluer mon écriture. Savoir où était la limite de la parodie et de la provoc carrée. Maintenant, les gens font des jeux de mots comme moi carrément (rires).”
A ce flow nonchalant et syncopé (“c’est des maths” expliquera-t-il) s’ajoute donc une myriade de références à Dadju et Gims (Le Lij, frère de Jwles est aussi rappeur), Al Gore, Vanessa Paradis ou James Dean qui essaiment sur des productions toujours plus aventureuses (Tennesse (Remix), Presque, Hors-Jeu…). Avec la maestria instrumentale du Wu-Tang en tête, il défend le rap comme une “musique de luxe” face au mainstream français toujours plus sclérosé par la copie et les formules prémâchées avant d’assener, sans prétention mais gonflé d’ambition : “J’ai envie de faire de la grande musique. Même si je suis tout petit, il faut viser le plus haut possible. Comme Dali. D’un jour à l’autre, il s’est dit : ‘Je suis un génie”, et c’est là qu’il commence à le devenir. Moi, si un jour, je veux faire des sons avec Erykah Badu ou des gens comme ça, va falloir faire du lourd.” De quoi placer très loin l’horizon d’attente.
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